Auteur: Gilles Kepel
Le dernier quart du XXe siècle a été marqué par l'émergence, l'ascension puis le déclin des mouvements islamistes. Si l'islamisme est un courant qui puise ses racines à la fin du XIXe siècle, Gilles Kepel postule dans son ouvrage l'autonomie de la séquence des 30 dernières années parce que la référence à l'islamisme y apparaît " comme une nouvelle utopie, un idéal politique qui s'est très largement substitué à l'idéal nationaliste qui prévalait depuis les indépendances " et qui a été " l'inspiratrice d'un mouvement social d'une ampleur particulière ". L'ambition du livre est donc de rendre compte du phénomène dans son ensemble, à travers le monde, de l'Iran à la Malaisie, du Soudan aux banlieues des capitales européennes, de la Bosnie à l'Afghanistan, " afin de transposer d'une situation à une autre les questions suscitées par telle expérience particulière, les éclairant mutuellement et élucidant ainsi ce que l'approche d'une seule laissait obscur ".
À l'origine de ce travail, indique Gilles Kepel, il y eut une interrogation très simple : pourquoi " certains mouvements islamistes étaient parvenus à s'emparer du pouvoir (succès de la révolution iranienne), tandis que d'autres, (les plus nombreux), tels les mouvements égyptiens, y avaient échoué " ? C'est l'analyse sociologique qui fournit à l'auteur les clefs de son argumentation. La mouvance islamiste est selon lui " le produit de la mobilisation simultanée de groupes sociaux différents ", jeunesse urbaine pauvre, classes moyennes pieuses, intelligentsia islamiste sans oublier les groupuscules radicalisés et violents. Or aujourd'hui, " l'islamisme - comme amalgame de groupes sociaux différents soudés dans une idéologie commune - va commencer à se défaire, précipitant le déclin de l'ensemble ". Certains groupes, dans la foulée du jihad afghan s'orientent vers une radicalisation violente tandis que les groupes islamistes modérés issus des classes moyennes s'orientent vers l'alliance avec les groupes laïcs et procèdent à une réflexion qui s'articule autour de la démocratie et des droits de l'homme.
On assiste aujourd'hui, indique l'auteur, à un travail de recomposition de l'identité dans le monde musulman où la référence à l'islam a une place mais n'a pas une place exclusive. " Aujourd'hui, en l'an 2000, l'épuisement de l'idéologie et de la mobilisation islamistes ouvre la voie à un [...] moment de dépassement : les musulmans peuvent tout à fait élaborer leur manière de s'inscrire dans un processus démocratique qui soit à la fois universelle et particulière ". L'enjeu est de voir " si les élites au pouvoir, qui bénéficient d'une opportunité historique pour promouvoir la démocratie dans les pays qu'elles contrôlent, sauront en saisir l'occasion, accomplir les sacrifices nécessaires pour élargir leur base sociale, ou persisteront dans une logique d'appropriation patrimoniale de l'Etat, annonciatrice de nouvelles tempêtes et de nouveaux désastres ". L'ouvrage est doté d'un appareil cartographique.