Auteur: Zakya Daoud
" Ce mort aura la vie longue, ce mort aura le dernier mot ", écrivait Daniel Guérin à propos du leader de l'opposition marocaine, enlevé le 29 octobre 1965 devant la brasserie Lipp à Paris. A l'heure où " l'affaire Ben Barka " connaît de nouveaux prolongements, le caractère prophétique de ce jugement résonne avec une acuité nouvelle. Trente après sa disparition, ce livre est la première biographie que l'on consacre à un homme dont la mort a paradoxalement occulté la vie : son enfance modeste dans la médina de Rabat, sa famille, ses dons intellectuels hors du commun qui auraient pu en faire l'un des mathématiciens de sa génération.
Son combat, dès l'âge de quatorze ans, en faveur de l'indépendance marocaine, puis ses rapports conflictuels avec la monarchie en sa qualité de chef de file de l'opposition ; sans oublier son inépuisable ardeur de " commis voyageur de la révolution " au service de l'émancipation des peuples du tiers-monde, aspect essentiel et mal connu d'une fulgurante carrière qui excéda de loin le cadre de la politique intérieure marocaine.
Au-delà, les auteurs s'attachent à décrire l'étonnante personnalité de celui qui fut taxé d' " ennemi public numéro un ", adulé par la jeunesse de son pays, à la fois tribun charismatique et fin lettré, calculateur et naïf, le côté gavroche de cet éternel étudiant, qui dormait peu et travaillait sans cesse, le côté tyrannique de cet homme d'appareil dépourvu d'appareil. Le combattant engagé, reçu par tous les chefs d'Etat, le politique précautionneux, l'homme de l'ombre usé par une vie épuisante, l'homme traqué de l'exil. Une multiplicité qui, à elle seule, pouvait tuer.
Le destin tragique de Mehdi Ben Barka illustre enfin, le drame vécu par de nombreux leaders tiers-mondistes d'une époque qui se clôt à La Havane en 1966, où les solidarités révolutionnaires finiront, peu à peu, par céder la place à la raison d'Etat.