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Al Qadam Addahabi : 22 jeunes marocains au Havre

Ils sont de Temara, Marrakech, Tiznit, Dakhla et de Oujda. Al Qadam Addahabi leur a fait la promesse de les faire rêver. Promesse tenue.

A l'aéroport Mohamed V de Casablanca, les 22 gamins se sentent un peu perdus. À l'exception de deux ou trois d'entre eux, les autres n'ont jamais pris un avion de leur vie et une sorte de mélange entre angoisse, excitation et curiosité se lit sur leurs visages. Après une attente qui a duré plus de huit mois, voilà enfin le grand jour tant attendu ; celui que les 22 joueurs issus d'Al Qadam Addahabi attendent avec tant d'impatience et qui les conduira au Havre, au nord-est de la France pour y effectuer un stage de 15 jours avec la possibilité pour un ou plusieurs d'entre eux de signer un contrat avec le légendaire club français. Dans l'avion, les jeunes découvrent tout pour la première fois. « Je n'ai jamais eu cette sensation. Quand l'avion a décollé, j'ai été poussé contre mon siège et je n'ai pas compris ce qui m'arrivait », « Je vois tout le temps des avions dans le ciel, mais je ne savais pas qu'ils pouvaient voler au-dessus des nuages »… Bref, pendant deux heures et demie, ce ne sera que joie, émerveillement et étonnement. Ils n'y croyaient plus vraiment et ils n'ont été prévenus du départ que le 7 décembre… soit 24 heures seulement avant le décollage. Une histoire de visas, explique Othman Benabdeljelil, le co-producteur d'Al Qadam pour qui le va et vient entre les consulats a duré plusieurs semaines et qui parlera de cette expérience comme étant la pire de sa vie. « Nous devions nous rendre au Havre le 22 octobre, mais les choses étant ce qu'elles sont chez nous, nous n'avons réussi à partir que le 8 décembre ». Au début, aucun consulat ne voulait délivrer des visas pour des jeunes issus de milieux défavorisés. Le souvenir de joueurs de clubs de première et de deuxième division qui sont partis en France ou ailleurs et qui ne sont plus jamais revenus, plane encore… La preuve, au début du mois de décembre, seuls 8 visas sur 24 étaient octroyés et les organisateurs avaient même pensé laisser tomber le stage promis aux vainqueurs de la finale d'Al Qadam Addahabi. Finalement, ce n'est qu'après avoir « harcelé » (comme on sait très bien le faire) les bureaux des consulats et présenté toutes les garanties possibles et inimaginables que 22 visas ont été délivrés. Seul le consulat de Tanger est resté sur sa position et deux joueurs d'Al Hoceima n'ont pas eu la chance de faire partie du voyage.


Suivis à la trace

À Orly, un autocar attend. Une fois les formalités de douane terminées, le groupe y monte et constate rapidement que le bus est suivi par deux voitures. A bord, six hommes suivent le même itinéraire. Ce sont les agents de sécurités recrutés par Al Qadam pour surveiller 24/24h les 22 gamins. « Les consulats ont délivrés 22 visas, explique Ramzi, le second co-producteur de l'émission. Si au retour, il manque un seul joueur, il est clair que pour les prochaines éditions, on peut dire adieu aux stages en Europe ». Pendant toute la durée du stage, les jeunes verront partout des agents de sécurité qui ne les lâchent pas d'une semelle. À l'hôtel où ils descendront, tout un étage a été réservé et chaque incident, chaque mouvement, chaque sortie de chambre est signalé par talkie-walkie au chef de groupe. Pendant la journée et lorsque les jeunes sont à l'entraînement ou en train de faire une sieste, deux agents (un à l'étage, l'autre devant la porte d'entrée) guettent les allées et venues de chacun. Le soir, l'effectif est doublé et deux des hommes de sécurité renforcent l'équipe en se postant à l'extérieur sous les fenêtres des chambres. Pour Francis Pompon, le chef de mission, cette expérience est une première : « En 25 ans de carrière, toutes les missions que j'ai effectuées consistaient à protéger le client de la société. Cette fois c'est la société qu'il faut protéger du client. Nouveau et bizarre ! »…

Au Havre, l'accueil est chaleureux. Dès leur arrivée, éducateurs et dirigeants du club havrais élaborent un programme d'entraînements et de rencontres amicales avec différentes équipes locales. Ce programme sera respecté à la lettre durant tout le séjour et jamais aucune équipe ne s'est désistée et aucune séance d'entraînement n'a été reportée ou annulée. Aussi, pendant toute la durée du stage, les techniciens et les recruteurs du Havre suivront attentivement l'évolution de chacun et à la fin du séjour pas moins de trois jeunes seront retenus pour retourner au club afin d'y effectuer une nouvelle séance d'essai de plusieurs semaines et, qui sait, d'être recrutés par le club. En tout, l'équipe d'Al Qadam Addahabi disputera quatre matchs. Elle en gagnera deux et avant même la fin du stage, des agents affiliés à la fédération viendront voir évoluer les 22 Marocains. Quatre d'entre eux attireront leur attention. Dans les semaines qui viennent, ils seront proposés au club de Nantes pour un éventuel recrutement.

Petits poissons fugueurs

Côté sécurité, les agents veillent. Chacun des six hommes a un nom de code (Espadon, Requin noir, Corsaire…), et comme le client est composé de 22 gamins surexcités, on leur donne le surnom de « petits poissons ». Petits poissons sont assez agités mais dans l'ensemble, ils sont disciplinés et ils suivent à la lettre les consignes des producteurs et les recommandation de Hamidouch et de Timoumi, leurs entraîneurs. Les repas sont pris à heures fixes, les siestes obligatoires et les entraînements très éprouvants. Mais malgré la vigilance de la sécurité et du staff de l'équipe accompagnatrice, l'incident finit par se produire le mercredi 15 décembre. Ce jour-là, les jeunes rentrent d'une séance d'entraînement pour déjeuner à l'hôtel. Profitant d'un relâchement de quelques secondes de la part des agents, trois petits poissons pénètrent dans une chambre qui n'est pas la leur et qui donne sur le seul côté non surveillé, ouvrent la fenêtre et sautent. On ne remarquera leur disparition que vingt minutes plus tard au moment où un membre du staff montera à l'étage pour vérifier les chambres. L'alerte est aussitôt donnée et c'est le branle bas le combat dans tout l'hôtel. Interdiction jusqu'à nouvel ordre aux autres petits poissons de quitter leur chambre-bocal. Les gros se dispersent aux alentours de l'hôtel pour une fouille qui ne donnera finalement rien. La gare qui se trouve à quelques dizaines de mètres de là sera surveillée, le signalement des fugueurs donné à la police mais toujours aucune trace d'eux. Pour Othman Abdeljelil et Ramzi, c'est la catastrophe : « Toute l'aventure d'Al Qadam Addahabi est compromise. Avec le départ des trois, ce sont des dizaines d'autres jeunes marocains qui seront privés de venir en Europe ». Les agents de sécurité n'en reviennent pas. Ils ont profité du seul moment où nous n'étions que deux en train de compter les arrivées dans le hall de l'hôtel pour entrer dans une chambre où ils n'était pas sensés se trouver, se lamentera Francis Pompon. Au premier étage, d'habitude animé, on n'entend pas une mouche voler et cette nuit sera l'une des pires pour Al Qadam.

Retour à la case départ

Au petit-déjeuner du lendemain, l'ambiance est terne. Le rassemblement se fait et le petit déjeuner est pris sans grand appétit. Le groupe monte ensuite dans le bus qui va les conduire loin de la ville pour une séance d'entraînement. A une vingtaine de kilomètres de l'hôtel, l'un des organisateurs pousse un cri et demande au chauffeur du car de s'arrêter. Il vient d'apercevoir les trois petits poissons à l'embranchement d'une route secondaire, adossés un poteau électrique. La voiture suiveuse les a aussi repérés et en quelques secondes ils sont tous les trois maîtrisés. Épuisés, affamés et grelottants de froid ( - 5° la nuit en cette période), ils regagnent l'hôtel. Le soir même, comme si de rien n'était, ils participeront même à un match programmé à l'avance. Histoire de les mettre en confiance et le temps pour les organisateurs de régler quelques petits détails avec Paris et Casa. Le lendemain avant sept heures, une voiture se gare devant l'hôtel. A son bord, trois nouveaux agents arrivent tout droit de Paris. Petits poissons fugueurs sont réveillés par Espadon. Ils prennent vite leur petit-déjeuner et on les fait ensuite monter dans la voiture. Moins de quatre heures plus tard, ils survoleront la France à bord de l'avion qui les ramène à l'aéroport de Mohamed V. Parmi eux, un jeune de Mohammedia âgé de 18 ans et que l'équipe du Havre avait retenu en premier…

A l'heure où ces lignes sont écrites, il reste encore deux jours d'entraînement et l'histoire des trois camarades n'est plus qu'un mauvais souvenir. Dans le groupe l'espoir d'être retenu grandit de jour en jour mais peu importe le résultat. Tous ces jeunes ont accompli un rêve ; celui de venir en France, et pendant encore deux jours, petits poissons vivront sur un petit nuage au-dessus du Havre.

Source : Le Journal Hebdomadaire

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