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Les jeunes marocains grand consommateur des clips Rotana

«Mouche hatghammad aânik» (tu ne fermeras pas les yeux), c’est le slogan de la chaîne musicale Rotana. C’est ce qui semble en effet arriver à ces centaines de milliers de jeunes, fans de Rotana, la chaîne qui passe jour et nuit des clips des nouvelles stars de la chanson arabe. Rotana, mais aussi «Mazika», «Melody hits» ou encore «Z Arabia» se sont imposées au fil des ans à des téléspectateurs arabes avides d’images sulfureuses et de stars à la plastique irréprochable.

Nous sommes dans un des cafés du centre ville casablancais. On se croirait plutôt au Caire ou à Beyrouth avec des tables où des clients ont les yeux rivés sur la télévision tout en fumant la chicha. «Les jeunes sont friands de Rotana ou de Mazika qui passent des clips à longueur de journées», explique le gérant du café. Chicha et Rotana, c’est la recette gagnante de ces cafés qui sévissent dans les quartiers huppés comme dans les zones populaires de la métropole. Le phénomène de la nouvelle variété arabe dépasse largement l’univers des cafés. Que ce soit dans les foyers, dans les boîtes de nuit et même dans les cérémonies de mariage, les hits de Nancy Ajram, Ruby, Haïfa et autres Elisa sont sur toutes les lèvres. Ils sont plusieurs à en faire même des sonneries pour leurs téléphones portables. Plus encore, loin de se limiter aux seuls adolescents, la vague Rotana concerne également des jeunes et des moins jeunes, tous sexes confondus. «Rotana est ma chaîne musicale préférée. Pour une fois, nous n’avons plus rien à envier aux productions étrangères qui passent dans les télévisions européennes et américaines», lance un des clients du café. «C’est de la décadence pure et simple, rétorque un autre, ces chanteuses n’ont même pas une belle voix». Pas de belles voix certes, mais des corps de rêve.

Rotana, plutôt «Rotala»
La preuve, notre interlocuteur ne parvient pas à détacher son regard de l’écran où passait un des clips “hot” de Ruby en tenue de sport, se déhanchant sur un vélo d’appartement… !

Réputée être une “vendeuse de rêves”, Rotana est avant tout une maison de production qui possède l’exclusivité pour le passage des clips des artistes qu’elle fait signer.La chaîne musicale est la propriété du prince Al Walid ben Talal ben Abdelaziz Al Saoud qui est par ailleurs cousin germain du prince Moulay Hicham.

En 2006, Al Walid valait la bagatelle de 20 milliards de dollars, le plaçant ainsi parmi les dix plus grandes fortunes du monde. A la base, Rotana est la plus grande maison de production dans le monde arabe. Elle a fait signer les plus grandes stars de la chanson arabe : George Wassouf, Kadem Essaher, Wadiî Essafi, Elissa, Assala pour ne citer que ceux-là. Rotana a également enfanté d’autres stations comme Rotana Mousika, Rotana Clip, Rotana Khalijiya, Rotana Cinema, Rotana Zaman et même Rotana Islamiya. Bref, il y en a pour tous les goûts.

Pour les uns, cette chaîne musicale privée représente un véritable bol d’air dans un paysage audiovisuel arabe terne et qui n’accordait pas de place à l’esthétique. Pour les autres, cette “new generation” de chaînes musicales à la MTV ou VH1 est l’incarnation même de la décadence de la chanson arabe. «Les vedettes de Rotana n’ont pas de voix et s’imposent par leur physique. Ces chanteuses sont toutes refaites, de la même manière. C’est comme si elles ont pris rendez-vous chez le même chirurgien esthétique», s’insurge Saïd, la quarantaine, inspecteur des douanes. Pourtant, au vu du succès remporté par Rotana & Co, les jeunes téléspectateurs arabes et marocains semblent vouloir exactement cela, c’est-à-dire de l’esthétique et de la plastique. «Rotana est un hymne au virtuel. Il y a d’une part un écran central où défilent clips et passages publicitaires.De l’autre, des SMS défilent continuellement en bas de l’écran poussant ainsi les jeunes à communiquer, à chatter comme sur Internet. La chaîne s’appuie sur le concept de frames (tableaux) avec une composition de l’écran qui renvoie directement à la culture du Net», explique Hicham Abkari, l’actuel directeur du théâtre Mohammed VI. Avant d’ajouter : «L’engouement des jeunes pour cette culture montre clairement la forte composante érotique de la culture arabe.Nous avons tendance à oublier que les Arabes ont eu une littérature érotique et des poètes libertins à l’image d’Abou Nouas et Tarafa bnou El Abd». En tout cas, ces clips qui montrent de belles filles et de beaux garçons participant à des chorégraphies très suggestives et à forte connotation érotique semblent changer les habitudes des jeunes Marocains. «S’habiller comme Rami Ayache, se laisser pousser une barbe de trois jours comme Ryane ou simuler le regard sombre de Fadel Chaker, ce sont là les meilleurs ingrédients pour draguer des nanas de plus en plus éprises du modèle du mâle libanais», lance Rachid, jeune lycéen. Nancy Ajram ou Haïfa sont actuellement des stars chez la jeunesse masculine et des modèles pour la gent féminine. Alors que dans les années 80, en l’absence de stars arabes, les jeunes s’identifiaient davantage à des George Michaël et des Madonna à une période où MTV avait compris la portée commerciale des vidéoclips.

Des poupées en silicone
Rotana a toutefois de nombreux détracteurs, notamment chez les défenseurs d’une certaine bonne musique arabe (classique ou chanson marocaine) et des valeurs traditionnelles du pays. «Rotana n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de télé poubelle. Les chanteuses ne dansent pas. Elles font dans la provocation. Ces chaînes incitent à la débauche», affirme sans ambages, Ahmed Rifaâ, enseignant de la langue arabe et père de deux filles. Les arguments classiques reviennent dans les témoignages de ceux qui s’opposent à ce genre de télé : contraire aux mœurs, comportements inacceptables, tenues légères indignes des filles musulmanes, vulgaires, grotesques… Pour ces tenants de la moralité, les Nancy, Haïfa ne seraient que des prostituées et les Ayache et Ryane, des efféminés. «Ces nouvelles chanteuses qui nous viennent du Liban ne sont que des stars de la tentation, pas de la musique. Nos jeunes qui souffrent de la frustration et de l’analphabétisme éprouvent une admiration béate pour ces prostituées artistes. Ce ne sont même pas des femmes mais des poupées en silicone», martèle Adil, étudiant islamiste. Rotana est donc l’objet de toutes les polémiques, de toutes les passions. Pourtant, les petites filles imitent les déhanchements de Ruby et les adolescentes rêvent des tenues glamour de Haïfa. Quant aux garçons, ils éprouvent de l’admiration pour ces jeunes stars qui sont arabes mais tellement différentes des filles de leur entourage. Des compétitions comme “Star Academy” affichent des taux d’audience inimaginables et alimentent les conversations de nos lycéens (es).

Les candidats de ce programme de la chaîne libanaise LBC deviennent des stars dans tous les foyers marocains. Un peu, comme au mois de juillet, lors de la très suivie émission de la deuxième chaîne, Studio 2M qui n’hésite pas à inviter les vedettes de Rotana pour alimenter ses “primes”. «Les chaînes musicales ne sont pas responsables de l’éducation de nos enfants. Elles font un produit télévisé qui cible une certaine audience. Et dans ce registre, Rotana a bien réussi son coup», explique ce professionnel de la télévision. Rotana & Co ont donc un bel avenir devant elles.

Hicham Houdaïfa
Source: Le Journal Hebdomadaire

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