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Incendies de mosquées : un accusé dit avoir appris le racisme à l'armée

Quelles sont les raisons qui ont poussé quatre jeunes gens à incendier deux mosquées, à Annecy et Seynod (Haute-Savoie), la nuit du 4 au 5 mars 2004 ?

Au troisième jour de leur procès devant la cour d'assises de Haute-Savoie, les accusés sont incapables d'exprimer clairement leurs motivations, mêlant éléments de vie personnelle et contexte extérieur, enfance et guerre en Irak. Tout juste évoquent-ils un amalgame entre terrorisme et musulman à cause du "matraquage médiatique".


Immaturité, inconscience de la gravité de l'acte ou volonté de dissimuler un racisme bien ancré ? Pour comprendre le geste de ces quatre jeunes gens paumés, présentés comme proches de l'extrême droite, qui ont fait des Maghrébins les boucs émissaires de leurs vies fracassées, la cour tente patiemment de rechercher des éléments déclencheurs.

Deux des accusés sont d'anciens militaires du 27e bataillon de chasseurs alpins. L'armée a-t-elle pu jouer un rôle ? Anthony Savino, 24 ans, caporal au moment des faits, a longuement hésité à évoquer l'influence de son ancien corps, qu'il considérait comme sa "famille d'adoption", lui qui a vécu sans amour après le suicide, sous ses yeux, de sa mère, lorsqu'il avait 5 ans.

Mardi 5, il a annoncé qu'il ne parlerait pas de l'armée car, a-t-il affirmé, sa "parole n'est pas libre". Le jeune homme s'est dit "surveillé". Solennellement, le président de la cour, Philippe Busché, l'a alors mis en garde : "La cour d'assises ne doit pas être un lieu de non-dit."

Le lendemain, en l'absence du responsable de la communication du bataillon, présent la veille, le jeune homme est devenu plus prolixe, expliquant qu'il a subi, à l'armée, un véritable conditionnement, "un bourrage de crâne patriotique". "La France, la France et encore la France", voilà ce qu'on lui a martelé. Une France où "y'a pas de place pour l'islam, au contraire", énonce-t-il, avant d'accuser : "Le cas de Firmin Mahé (rebelle ivoirien mort en mai 2005 dans un blindé de l'armée française), ça s'est pas passé qu'une fois."

Envoyé en mission en Côte d'Ivoire, l'ex-militaire raconte aussi son apprentissage de la violence et du racisme. Il dit avoir vu, là-bas, des choses qu'il n'aurait pas dû voir : des charniers, des femmes éventrées, des têtes et des bras coupés qu'il fallait rassembler et aussi des "choses" commises par les militaires français, comme le passage à tabac de rebelles.

"Quand on en arrêtait un, on le ligotait. Le sergent lui mettait un coup de poing dans la gueule et c'était chacun son tour." "Avez-vous refusé les coups ?", demande un avocat. "Oui, on m'a traité de pédé."

En France aussi, Anthony Savino affirme avoir été "formaté". Le jeune militaire partageait sa chambre avec un sergent, le chef du Front national de la jeunesse d'Annecy. Sous son influence, raconte son ami, son "frère" Bruno Abello, lui aussi militaire au 27e BCA, "Anthony a changé".

Bruno Abello assure avoir refusé, pour sa part, de participer à l'incendie des mosquées, mais il est renvoyé devant la cour d'assises pour "non-dénonciation de crime".

Pourquoi expliquer son silence, il avance une explication : "Dans l'armée, on est tous des frères d'armes. Si j'avais vendu Anthony, j'aurais été obligé de partir." "Vous auriez été considéré comme un paria ?", interroge le président Busché. "Oui", répond l'accusé.

Source: Le Monde

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