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Les déficits de la démocratie sociale au Maroc

La surpolitisation des conflits engendre des crispations perverses. En général, on attend l’enlisement du conflit social pour dialoguer. On est incapable d’avoir un dialogue permanent au sein et avec les corps intermédiaires qui portent les attentes des uns ou des autres.

Deux événements chargés de sens ont secoué la scène sociale cette dernière semaine. La grève de la faim des titulaires du doctorat français et l’annulation de la grève annoncée par des syndicats de médecins. En apparence, aucun fil ne relie ces deux revendications, aussi légitimes l’une que l’autre. Mais, à y regarder de plus près, les deux mouvements mettent en cause la capacité des corps intermédiaires à infléchir le changement. Par leur recours à l’arbitrage royal, elles éclairent sur les déficits de la démocratie sociale dans notre pays.

Dans le conflit des universitaires qu’observe-t-on ? Un syndicat puissant, autonome, unifié, combatif, mais dont la gestion paraît contestable à beaucoup de ses adhérents. Une direction confrontée à la montée des corporatismes intra-profession, anticipant peu la radicalisation annoncée d’un conflit qui dure depuis des années, gérant mal le dénouement du dossier. En face, un collectif réclamant l’équité dans la reconnaissance des diplômes et portant une revendication dans des termes ambivalents. Mais surtout un collectif arc-bouté sur une démarche jusqu’au-boutiste, se singularisant par un moyen de pression pour le moins discutable. Est-il logique de défendre dans la foulée d’une revendication légitime, une aspiration à un plan de carrière où le critère scientifique de la promotion est relégué au profit de l’ancienneté par la fonctionnarisation ? Le conflit s’enlise et les grévistes sollicitent un arbitrage royal.

Dans le conflit des médecins, un ensemble de syndicats appellent au boycott des élections du Conseil de l’ordre, une institution censée veiller à une saine évolution de la profession. La raison : changer la loi pour donner une plus grande autonomie à un Conseil dont le président serait élu par les suffrages des médecins. Un Conseil de l’ordre dont la capacité d’action est cadenassée par sa dépendance vis-à-vis de l’administration. Une institution en perte de crédibilité, dont l’image est ternie par des relations convergentes des pouvoirs publics et des membres du Conseil. Des relations qui se nourrissent l’une de l’autre de façon symbiotique et sont caractéristiques d’une inféodation voulue et recherchée par les uns et par les autres. De nombreux dysfonctionnements découlent de cette anomalie. A savoir : des décisions dictées par des considérations administratives, des oppositions et des conflits larvés se développent au sein du corps médical, aucune sanction pour les manquements à la déontologie de la profession. Vouloir changer cet ordre des choses est plus que légitime. La négociation avec l’administration de tutelle n’ouvre pas de perspectives. Le mouvement de boycott risque de se radicaliser. La tension est dénouée par une intervention royale.

Ces deux conflits, chacun à sa manière, révèlent une crise des corps intermédiaires et de la démocratie sociale. Notre pays, peut-être plus que d’autres, est marqué par une faiblesse des corps intermédiaires. C’est une réalité. On le dit souvent pour le syndicalisme, mais cela ne touche pas que celui-ci. Cela concerne aussi les organisations professionnelles, les Conseils de l’ordre dans différentes professions. C’est aussi un pays marqué par une sacralisation du politique. Il est considéré comme la fonction noble de la société, déterminante par rapport à toutes les autres. La surpolitisation des conflits engendre des crispations perverses. En général, on attend l’enlisement du conflit social pour dialoguer. On est incapable d’avoir un dialogue permanent au sein et avec les corps intermédiaires qui portent les attentes des uns ou des autres. Quand le conflit éclate, on est déjà dans une dégénération des tensions, alors que celles-ci sont consubstantielles à la démocratie. Le défi réside dans l’organisation de la confrontation avant que le conflit ne s’envenime. On a plutôt besoin que le politique puisse créer les conditions du dialogue et faire en sorte que la délégation de négociation puisse être respectée. Or, très souvent, on préfère l’arbitrage à l’intermédiation sociale.

Ceci s’explique par notre Histoire. Il faut reconnaître que le monde du travail est devenu complexe. L’éclatement du processus revendicatif est une réalité. Tout le monde aujourd’hui ne se reconnaît pas dans un type de contrat. Le défi des corps intermédiaires est de faire en sorte que les solidarités vivent à l’intérieur de leurs organisations. L’enjeu pour la démocratie sociale est de dépasser les corporatismes sans pour autant se détacher des préoccupations catégorielles. Faire avancer la démocratie sociale, c’est reconnaître une autonomie du social par rapport au politique. Autonomie ne veut pas dire opposition ! Autonomie ne veut pas dire étanchéité entre démocratie politique et démocratie sociale. Au contraire, l’approfondissement de la démocratie nécessite de consolider les espaces organisés du dialogue social. Une telle évolution passe par la reconnaissance de la capacité des acteurs sociaux à devenir autonomes et responsables. Elle passe aussi par leur volonté de s’affranchir de l’emprise et de la tutelle des pouvoirs publics.

Larabi Jaïdi
Source: La Vie Eco

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