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Malaise chez les titulaires du doctorat français dans l' enseignement supérieur marocain

Universités en grève, multiplication des sit-in, succession d’assemblées générales…les enseignants-chercheurs titulaires du doctorat français ne savent plus à quel saint se vouer pour faire entendre leur cause. C’est finalement la grève de la faim – à ce jour quatorze personnes sont concernées – qui a remplacé toutes les autres formes de protestation.

À l’urgence de résoudre un dossier qui traîne depuis plus de vingt ans s’ajoute celle, plus inquiétante, de l’état de santé des grévistes, lesquels ont entamé leur troisième semaine de grève de la faim.

«On ne cèdera pas, de toute façon on n’a plus le choix», explique cet enseignant gréviste du fond de son matelas, usé par deux semaines de grève de la faim. Partagé entre le déterminisme et la détermination, le temps d’une protestation, il a cédé ses habits d’universitaire pour ceux de gréviste à durée indéterminée. Ses camarades, tous installés dans le modeste local du Syndicat de l’enseignement supérieur (SNE sup), sont tout aussi déterminés que lui à poursuivre la grève jusqu’à obtenir satisfaction. Mais voilà que près de trois semaines sont passées sans que l’ombre d’une bonne nouvelle ne leur ait été annoncée. Trois semaines marquées par les va-et-vient entre le siège du syndicat, situé à Rabat, et le CHU de la ville. Autant de jours durant lesquels la crise s’est accentuée entre les revendicateurs et le ministère de tutelle concerné par la question. Les premiers, tous titulaires d’un doctorat français, revendiquent l’accès automatique au statut de professeur de l’enseignement supérieur (P.E.S.), un grade qui leur est refusé depuis plus de deux décennies. Ils sont aujourd’hui 1697 à enseigner dans les universités marocaines en tant que maîtres-assistants. Pour justifier leur position, leur premier argument réside dans le statut du 17 octobre 1975. Celui-ci stipule que quatre années après leur recrutement au sein de l’université, soit quatre années passées avec le grade de maître de conférences, ils doivent être reversés dans le grade de P.E.S. Ce statut, Mohamed Mahassine, président de l’Amecluf (Association marocaine des enseignants-chercheurs lauréats des universités françaises) et porte-parole des grévistes, le qualifie de “droit”. Un droit qui leur donnerait des avantages à la hauteur du statut, à savoir la possibilité d’encadrer des thèses, de postuler au poste de doyen ou encore d’occuper des responsabilités administratives au sein de l’université. Il y a aussi l’aspect financier, non négligeable, mais qui ne primerait pas, selon Mohamed Mahassine. Au centre des revendications, c’est l’aspect “scientifique et moral” qui prévaudrait sur tous les autres. «Pour nous, l’équivalence est vitale car elle est synonyme de reconnaissance», explique l’un des enseignants grévistes. La réponse des pouvoirs publics ? Des propositions en deçà des attentes de l’Amecluf et surtout un dossier confus lourd à gérer puisqu’il traîne depuis au moins le début des années 80.

Confusion d’un système
A la source du problème, la réforme française de l’enseignement supérieur de 1984. La France avait alors décidé de remplacer le doctorat de 3e cycle et le doctorat d’Etat par le nouveau doctorat. Les titulaires marocains de ce diplôme, de retour au Maroc à partir de la fin des années 80, ont été recrutés en tant que maîtres-assistants, contrairement à leurs collègues titulaires d’un diplôme marocain, anglo-saxon (PhD) ou encore européen autre que français. Une “injustice” estime l’Amecluf qui s’interroge toujours sur l’incapacité de l’Etat à faire fonctionner le système d’équivalences également pour les titulaires d’un doctorat français. Et d’ajouter que le ministère de l’Enseignement supérieur amplifierait volontairement le coût financier d’une telle opération pour justifier son opposition à la requête des professeurs titulaires du doctorat français. Pourtant, quelques années auparavant, le ministère de l’Enseignement supérieur avait fini par reconnaître ce que M. Mahassine appelle une “erreur administrative”. En effet, le préjudice avait été reconnu par Khalid Alioua, ministre sous le gouvernement de l’alternance, avec même à la clé des promesses de réhabilitation. Mais depuis, l’université a été réformée sans que la question des enseignants-chercheurs titulaires du doctorat français ne soit véritablement tranchée. Depuis, des propositions ont été faites de la part du ministère aux concernés, mais jugées insatisfaisantes par les bénéficiaires. Il s’agit d’abord d’une bonification de six années, puis l’accès au grade de professeur habilité, rétroactif, à la seule condition de passer un concours. En cas de réussite, l’ancienneté serait calculée à partir de la date de recrutement. À l’occasion d’une assemblée générale des enseignants-chercheurs titulaires du doctorat français, cette dernière proposition a été qualifiée par l’Amecluf de “vide de sens, irréaliste, illégale et inique”. L’association ajoute qu’il s’agirait d’une manœuvre visant à induire en erreur l’opinion publique sur les réelles intentions du ministère. Dans le camp des universitaires, tous ne sont pourtant pas convaincus de l’inutilité des propositions ministérielles. Un enseignant d’une faculté casablancaise qui a préféré garder l’anonymat, pleinement concerné par le problème puisque lui-même est titulaire d’un doctorat français, estime que les acquis actuels sont très importants si l’on s’attarde sur le chemin tracé depuis plus de vingt ans. Il ajoute que c’est l’occasion pour “liquider les reliquats des réformes passées” et trouver une solution favorable au Maroc, à savoir se conformer au “standard international”. S’il se solidarise avec ses collègues, il craint toutefois une tournure dramatique des événements. Il rejoint par la même occasion l’un de ses collègues anciennement membre du SNE sup qui considère que le maintien de la grève de la faim fait figure de “chantage insoutenable”.

Quel juste milieu ?
Quel rôle joue le SNE sup ? Pour l’Amecluf, il héberge les grévistes, “par devoir”, sans pour autant «assumer ses responsabilités et fournir un rendement satisfaisant». Pourtant, ce syndicat est à ce jour le seul interlocuteur toléré par l’actuel ministre de l’Enseignement supérieur Habib El Malki.

Une décision que regrette Mohamed Mahassine car il juge l’action du SNE sup “trop molle” pour servir la cause des enseignants-chercheurs titulaires du doctorat français. L’association a d’ailleurs interpellé le syndicat pour qu’il clarifie sa position sur le sujet. Un membre du SNE sup estime de son côté que l’Amecluf, une association créée au sein du syndicat, outrepasse son rôle initial. Logique d’intérêts ?
Peu importe si l’on se réfère à la position actuelle de l’Etat. Les grévistes ont déjà choisi un nouvel interlocuteur : le Premier ministre. Ils ont par ailleurs exigé la création d’une commission interministérielle sous la présidence de Driss Jettou, laquelle serait constituée des ministères concernés par le dossier : Enseignement supérieur, Fonction publique et la Modernisation des secteurs, Finances, Secrétariat général du gouvernement et représentants du SNE sup.

En attendant, la cause des grévistes de l’enseignement supérieur a été exportée à l’étranger, plus exactement en France, là où tout a commencé. Des professeurs français ont interpellé leur ministre de l’Education nationale Gilles de Robien sur la question de ces universitaires diplômés en France mais dont le diplôme ne serait pas reconnu à sa juste valeur. A travers cette démarche, c’est un sursaut d’orgueil de la part de la France qui est réclamé mais également un soutien pour faire entendre le problème dans les hautes sphères du Pouvoir marocain. Tandis qu’une réaction favorable est très attendue par l’Amecluf, l’association n’exclut pas d’étendre le mouvement de grève dans les universités, de boycotter les examens de 1ère session, voire même d’effectuer une année blanche et, plus grave, de maintenir la grève de la faim.

La «balle est dans le camp du gouvernement», explique le porte-parole des grévistes, mais si l’absence de réaction se prolonge, l’arbitrage royal sera alors demandé.

Kawtar Ben Cheikh
Source: Le Journal Hebdomadaire

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