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Les impacts de l'INDH sur le Maroc

Comme dans l’allégorie de la caverne de Platon, l’on ne voit que des ombres et l’on ne réalise pas encore ce qu’il y a derrière. L’Initiative nationale pour le développement humain (INDH) en est là, faite d’une quantité de petits et grands projets. Ce vendredi 22 septembre, 350 responsables se réunissent à Béni-Mellal pour parler de convergence de cette initiative, qui en est à sa deuxième année d’exécution. En 2005, 1.104 projets sont lancés dans le cadre d’un programme prioritaire; 70% sont réalisés fin juillet.

On ne connaît pas encore l’impact sur les populations cibles. Au terme du 1er semestre 2006, pas moins de 5.000 projets sont identifiés et en cours de concrétisation. Coût: plus de 600 millions de dirhams, dont 300 millions provenant des bailleurs de fonds tels que la Banque mondiale (BM), le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), Japan International Cooperation Agency (Jica), associations…

Le vent du changement souffle déjà là où vous ne le sentez pas encore, à l’échelle des 667 communes identifiées par cette initiative. Là où, en tournée, les responsables ont appris à écouter des heures durant des gens qui n’ont pas l’habitude de parler, encore moins d’être écoutés, et qui sont encore plus méfiants vis-à-vis de ce qui provient de l’Etat.

Ce vent-là souffle très fort sur le changement du rôle de l’Etat. Loin de l’angélisme, il admet ses faiblesses, admet ses tares en matière de gouvernance et son incapacité à répondre aux besoins de la population. Critique pour critique, «critiquons-nous nous-même et faisons dans l’inclusion».

L’Etat aujourd’hui n’est qu’une composante dans les prises de décisions: 12.000 personnes à travers les communes ciblées travaillent dans des comités locaux. Au sein de chacun d’entre eux, un tiers est représenté d’élus locaux; un autre tiers, d’associations; et un autre, des services de l’Etat. D’anciens «frères ennemis» qui travaillent en synergie. Mais le Marocain moyen, rompu au doute et à la méfiance, froncera les sourcils: « INDH par-ci, INDH par-là… en voilà encore, du saupoudrage!», disent les plus critiques. Rappelons d’abord que l’INDH est, pour sa plus grande part, un réaménagement des politiques publiques déjà en cours.

La plus grande nouveauté réside dans le changement d’approche: l’émanation des projets de la base, avec tout ce que cela comporte de méthodes à réviser, notamment dans le choix des projets et leur suivi opérationnel. C’est la difficulté majeure.

Séisme mental
Aujourd’hui, un gouverneur n’a plus la capacité d’imposer son projet à une population. Ses décisions n’émanent plus du sommet! Séisme mental s’il en est, et qu’il est difficile de faire passer de but en blanc, dans une société culturellement féodale. Surtout quand des réflexes de «petits seigneurs», sans parler du «réflexe du serf», persistent (cf. plus bas)…

Car, ce qui importe le plus dans l’INDH, c’est ce changement de l’idéologie, peut-être plus que les projets en eux-mêmes. Certes, cela a un coût: l’on ne saura jamais combien d’argent sera perdu dans des expériences qui auront échoué; on ne saura pas de sitôt si l’on a optimisé l’argent investi dans ces projets… mais «on fonce et on apprend en même temps, ensemble». Dans les textes, les verrous du contrôle budgétaire a priori, considérés comme étant le plus fort blocage, ont sauté. On dépense, et on contrôle ensuite.

Les interlocuteurs sont unanimes (BM, associations, ministres, experts, etc.): «Nous retournons aux études; nous apprenons au fur et à mesure à travailler différemment, à travailler ensemble, à rendre des comptes, à écouter les gens». De même, les habitants apprennent à parler et exprimer leurs besoins. D’où l’extrême importance de la convergence des actions.

Mais le jour où l’INDH réussira son tour de force, ce sera quand les gens n’en voudront plus et se réapproprieront l’exercice des libertés publiques, de la démocratie locale, la prise en main de leur destin, et leur combat pour une vie collective meilleure. C’est l’idéologie de fond, c’est le développement humain.

Une fantasia pour une seguia!
Tente caïdale, ahidouss, fantasia, méchoui à volonté, thé à gogo… pendant deux jours et toute une nuit! Ce n’est pas la célébration d’une victoire du Onze national, ni la fête de l’Indépendance. Mais, en fait, de l’inauguration d’une… seguia fraîchement construite pour ce douar très pauvre et où les analphabètes sont nombreux! Le tout, dans le cadre de l’INDH!

Le gouverneur de cette région et ses cadres, ainsi que les élus locaux, auront «dignement» marqué le coup! Comme «au bon vieux temps», où l’on se comportait comme un «petit roi» dans sa région.

«Je suis dégoûté. On se moque de ces gens. J’ai l’impression d’être au Moyen-âge». Ce lecteur vivant en zone rurale appelle L’Economiste pour exprimer son «coup de gueule» sur fond de chants folkloriques. C’était il y a quelques mois déjà. Cette réaction, rapportée aux responsables centraux de Rabat, fait réfléchir. «La réaction de ce lecteur, c’est du contrôle, c’est de la transparence», commente cette experte de la Banque mondiale: c’est la bonne réaction. «Et c’est ce qu’on attend de l’esprit de l’INDH: que chacun se sente en droit de se mêler de ce qui le regarde», poursuit-elle. «Ah…ça… des comportements pareils sont inacceptables», dit un autre haut cadre. Mais il n’expliquera pas comment faire pour mettre fin à ces gaspillages féodaux. D’ailleurs, personne, parmi les responsables, ne se fait d’illusions sur la vitesse du changement. Des dérapages, il y en a et il y en aura encore. L’essentiel étant qu’ils ne soient plus passés sous silence.

Tarir le «béni-oui-ouisme»?
Certes, tout le monde apprend: les uns, à être au service du citoyen ; les autres, à se prendre en charge en tant que citoyens. Les comités locaux, centre de gravité à la croisée des tensions, font de l’équilibrisme. C’est la notion même de démocratie qui est mise en interrogation dans l’INDH. Elle en appelle aux débats philosophiques sur son sens réel et profond.

Ce qui émane du plus grand nombre est-il le plus juste? Est-ce ce qu’il y a de meilleur pour ce plus grand nombre? Le plus grand nombre a-t-il les capacités d’avoir une vision du développement local? Si l’on parle de convergence des actions déjà programmées depuis des années, quelle place réelle donner alors aux projets émanant de la base?

Va-t-on faire un tour de passe-passe de manière à les présenter comme étant les projets de la base alors qu’ils existent sur le papier depuis des années?

D’aucuns diront que l’on s’interroge sur «le sexe des anges» et que c’est un débat «subsidiaire»… et que le «mieux est l’ennemi du bien». Il n’empêche: quand, dans un douar, on aura construit avec 200.000 dirhams un mur et deux fontaines, alors que le chômage y sévit… les questions paraîtront moins futiles.

Par ailleurs, le plus dangereux, dans une démarche pareille, est la pensée unique et le «béni-oui-ouisme». L’INDH a besoin du penseur comme du juriste et du sociologue pour mettre des mots nouveaux sur ce qui peut être une vraie révolution si l’esprit de l’initiative est respecté.

Convergence, c’est quoi
Pour les experts, la convergence est un concept bien défini, non une notion floue. Il s’agit de mener des actions intégrées en prenant en compte 5 indicateurs (en retenant les définitions de l’Onu et du Pnud):
- L’éducation, la formation et l’alphabétisation
- La santé (mortalité infantile, mortalité maternelle)
- Les revenus
- Les infrastructures pour le désenclavement des régions reculées
- Tenir compte de l’approche genre et des jeunes de manière transversale.

Mouna Kadiri
Source: L'Economiste

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