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Le chant de Omar séduit le tout Casa

Des dizaines de milliers de fidèles se dirigent chaque soir à la Mosquée Hassan II. Une première dans l’histoire de ce monument. Derrière ce succès, Omar El Kazabri et sa voix.



Mosquée Hassan II, il est 19h00 et la salle des prières, fière de ses 20.000m2 et ses trois nefs, comble. 25.000 fidèles sont déjà assis en train d’attendre l’appel du « muezzin » pour la prière du « ichaâ ». Quinze minutes plus tard, l’esplanade, qui peut accueillir 80.000 autres fidèles, est à son tour investie par la masse humaine, les hommes devant, les femmes derrière. Leur nombre se chiffre en milliers, « et il augmente chaque jour », nous informe un fidèle. Au moment de la prière, les fidèles, tapis sous le bras, continuent d’affluer, à pied, en voiture ou en moto. Le parking de la mosquée affiche complet et on peut apercevoir à portée de vue les milliers de voitures stationnées le long de la côte de la Corniche. Quant aux rues attenantes à la mosquée, du quartier populaire de « Loubila », elles sont pleines à craquer. Une aubaine pour les jeunes du quartier qui se sont trouvé un boulot de circonstance, celui de gardien de voitures.

La mosquée de tous les Marocains

Selon les dires d’un garde de la mosquée, les premiers arrivants se pointent quelques minutes après la rupture du jeûne alors que l’édifice est encore fermé ! La présence des forces de l’ordre est imposante. Elles s’occupent principalement de l’organisation de la circulation dans les environs de la mosquée. Et ce beau monde vient de tous les quartiers de la capitale économique, de toutes les strates sociales, des quartiers populaires comme des quartiers riches, jeunes et moins jeunes, hommes, femmes et enfants. Durant le week-end, les fidèles viennent des autres villes, de Settat, Rabat et Marrakech. La diversité vestimentaire est déconcertante. Djellabas, jeans, tenues afghanes et autres jabadors de luxe se retrouvent ainsi rassemblés dans un seul et même lieu. Pourtant, depuis son inauguration en 1993, jamais la fréquentation de ce lieu n’a été aussi forte. Les Casablancais se rabattent le plus fréquemment sur les mosquées de quartier ou sur d’autres réputées pour la virulence des prêches de leurs prédicateurs. Sans oublier bien sûr que cette mosquée mal aimée a été construite suite à une souscription nationale obligatoire. Qu’est-ce qui a réconcilié les Casablancais avec leur monument ?

El Kazabri le magicien

Cet homme s’appelle Omar El Kazabri, le tout nouveau et jeune (il n’a que 30 ans) Imam de la Mosquée Hassan II. Son secret : il est l’un des plus grands spécialistes de la psalmodie du Coran dans le monde arabe. Il s’est illustré notamment sur les plateaux des chaînes satéllitaires arabes et ses cassettes et autres CD sont vendus partout, même sur Internet. Ce natif de la ville de Marrakech, fils d’imam, a fait ses études en fiqh et en déclamation en Arabie Saoudite avant de regagner le Maroc en 2001 et d’officier à la mosquée « Bab Al Rayan » au quartier populaire du Hay Hassani. Le succès fut immédiat. Sa maîtrise de la psalmodie du Coran associée à des prêches de qualité a valu à cette mosquée à la capacité d’accueil modeste d’être submergée par les fidèles du tout Casablanca.
Après les événements du 16 mai, Omar quitte la mosquée et repart en Arabie Saoudite. Les rumeurs circulent alors sur les raisons de ce départ : pressions de l’appareil sécuritaire, divergences avec les groupes extrémistes… « Rien de tout cela. Je suis retourné en Arabie Saoudite pour parfaire ma formation en psalmodie », nous déclare-t-il. Quoi qu’il en soit, Omar revient au pays début Ramadan. On lui confie l’imamat de la Mosquée Hassan II. Le reste, c’est de l’histoire. Belle opération de charme réussie par le Ministère des Habous et des Affaires religieuses. Durant le mois de Ramadan, les Marocains veulent écouter du Coran, être émus, ressentir, durant les prières nocturnes des « tarawih », la beauté du verbe du texte sacré. On leur offre El Kazabri, et le tour est joué.
Je sors de la mosquée et je me dirige vers le boulevard Moulay Youssef pour prendre un taxi. Je suis encore sous le charme de la voix du magicien Omar. Je me retourne : la foule tarde à sortir, comme si elle en demandait plus. Ils veulent regarder le visage de l’homme qui leur a offert cet immense plaisir. Les uns tenant un appareil photo, les autres un magnéto. Ce sera peine perdue. Une véritable chaîne humaine composée des forces d’intervention rapide refuse le passage aux admirateurs de Omar. Ils reviendront à la charge le lendemain… Je quitte les lieux définitivement cette fois-ci et ne peux que faire le parallèle entre ce que j’ai vu et les scènes « gospéliques » des Noirs américains. Car la voix de Omar fait pleurer les gens, les émeut jusqu’à l’évanouissement des fois. C’est fort. C’est beau et ça fait du bien. Ce chant magique de Omar pourra-t-il toutefois sonner le glas de l’époque des prêcheurs extrémistes, jihadistes ou autres takfiristes ? Réussira-t-il au moins à altérer leur popularité chez une jeunesse mal éduquée, en partie illettrée et n’ayant aucun espoir dans le Maroc d’aujourd’hui, encore moins de demain ?



Hicham Houdaïfa
Source: Le Journal Hebdo

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