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Maroc - Banque mondiale : Rien sous tous rapports

Un Etat, ça se juge sur des résultats, pas sur des excuses. En tout cas, dans les démocraties.

Un nouveau rapport catastrophique de la Banque Mondiale vient de tomber. “Encore un”, direz-vous… Elle est loin l’année 1995, où le premier document de ce genre faisait trembler l’élite politico-économique du royaume. Depuis, des rapports comme ça, il en tombe trois ou quatre par an et plus personne ne s’y intéresse. C’est qu’ils répètent chaque année la même chose : les mêmes problèmes se creusent et se compliquent, les résoudre est encore plus urgent. Treize ans plus tard, je vous laisse imaginer où ça en est… La conscience de la crise s’est banalisée, l’“urgence” n’est plus qu’un slogan. En fait, tout le monde s’en f…

Oh, cela ne veut pas dire que le Maroc n’ait avancé sur rien, bien au contraire. Sur de nombreux plans, notamment les infrastructures, le code du statut personnel, l’ouverture du paysage médiatique, les libertés publiques, le règlement des années de plomb… le Maroc a accompli, depuis le nouveau règne, des pas de géant. Bravo et tant mieux. Mais les trois tares capitales pointées par le rapport “fondateur”, celui au sujet duquel Hassan II déclarait au Parlement, en 1995, que “le Maroc est au bord de la crise cardiaque”… eh bien là-dessus, rien de nouveau depuis treize ans. Il s’agit, pour ceux qui ne s’en souviennent pas, de trois secteurs-clés : l’administration (pléthorique et inefficace), la justice (inféodée et corrompue), et l’enseignement (totalement inadapté, créant des exclus et des chômeurs à la chaîne).

Pour l’administration, il y a eu le programme de départs volontaires, c’est bien. Beaucoup de fonctionnaires ont quitté le navire. Assez ? On n’en sait rien. On sait, par contre, que les partants étaient les meilleurs. Pauvre navire. Pour le reste, on a vu quelques réformes ici et là, mais on n’a pas encore entendu que le citoyen s’est réconcilié avec el idara. Loin de là, même.

Or, c’est tout ce qui compte. Pour la justice, est-il besoin d’en rajouter ? Inféodée et corrompue, elle l’est plus que jamais. Même les timides tentatives de requalifier les tribunaux commerciaux (on y a cru, au début) se sont révélées largement insuffisantes. Le dernier rapport de l’ONU sur le commerce et le développement vient d’établir que les défaillances de la justice constituent le premier obstacle à l’investissement au Maroc. Quant aux affaires civiles, c’est toujours la loterie, c’est-à-dire l’inverse même de la justice.

Quant à l’enseignement… C’est l’objet, justement, du dernier rapport accablant de la Banque Mondiale. “Dans le parcours du primaire à la faculté (...), nous perdons pratiquement un tiers des élèves à chaque cycle”, commente le conseiller royal Abdelaziz Meziane Belfqih, en personne. Primaire, secondaire, faculté : ça fait trois cycles, donc trois tiers. Autrement dit, le taux de ceux qui vont au bout de leurs études (publiques), au Maroc, est statistiquement négligeable. Et parmi ces rares qui vont au bout, seul un pourcentage infime réussissent vraiment dans la vie. Grâce à leur génie propre, pas à ce qu’ils ont appris à l’école publique. Des trois secteurs, celui-là est sans doute le plus sinistré, et le plus lourd de menaces pour l’avenir de notre pays.

Mais sur ce secteur-là, en revanche, quelque chose a été fait : une étude de l’Etat, celle de la COSEF. Une étude globale, sérieuse, conclue par un programme d’action audacieux autant qu’indispensable. Et qu’en a-t-on fait, depuis huit ans qu’il a été remis ? Rien qui vaille la peine d’être rapporté. Suffisamment pour qu’un énième rapport nous rappelle que notre enseignement va encore plus mal qu’avant, et pousse l’humiliation jusqu’à révéler que nous sommes le cancre de notre région (déjà pas très reluisante sur ce plan-là). Pourquoi le programme de la COSEF n’a-t-il pas été appliqué ? Entre la valse des ministres et des programmes, les syndicats politisés et paralysants, la difficulté à lever des budgets suffisants, il y a sans doute plein d’excuses (sans doute valables). Mais un Etat, ça se juge sur des résultats, pas sur des excuses (même valables). En tout cas, dans les démocraties.

Ahmed Benchemsi
Source : TelQuel

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