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Portrait des parlementaires marocains

On les dit âgés, peu ou pas instruits, inamovibles, souvent réélus grâce à leur statut de notable, voire à leur argent, mais, au-delà de l’image, que savons-nous réellement de nos parlementaires?

Istiqlal, Mouvement populaire, RNI : des profils panachés
8 septembre 2007. Au fur et à mesure que les résultats des élections législatives tombent, les partis font le bilan de leur performance électorale. Malgré le recul de l’USFP et les progrès enregistrés par l’UC et le PPS, les prévisions des observateurs avisés s’avèrent justes : le raz de marée PJD n’a pas eu lieu et l’équilibre global de la scène politique marocaine n’a pas été chamboulé. La surprise ne viendra pas non plus des visages des nouveaux parlementaires : âgé en moyenne d’une cinquantaine d’années, le député marocain version 2007 dispose souvent déjà d’une expérience dans l’hémicycle. En effet, sur les 325 noms choisis parmi les 6 691 candidats présentés à l’échelle nationale, 139, soit un peu moins de 43%, étaient déjà au Parlement depuis octobre 2002. Et le nombre de «retours» de députés serait bien plus important si l’on prenait aussi en compte ceux qui ont participé aux législatures précédentes. Une information importante, toutefois : contrairement aux clichés qui les décrivent comme peu instruits, voire analphabètes, le niveau moyen d’instruction de nos députés est relativement élevé : plus de la moitié d’entre eux sont allés à l’université.

Au-delà de ce portrait global, les élus de chaque parti ont leurs spécificités. Nés dans la deuxième moitié des années 50, les parlementaires de l’Istiqlal, du Mouvement populaire et ceux, un peu plus jeunes, du RNI, partagent bon nombre de traits communs. Facilement réélus (30 parlementaires istiqlaliens sur 52, 27 harakis sur 46 et 16 RNistes sur 39 étaient déjà dans l’hémicycle en 2002), ces derniers ne se limitent pas à l’hémicycle comme seul terrain de prédilection en matière de politique. Ils ont fait leur entrée aussi bien dans les grandes villes que dans les petites localités, notamment grâce à une très forte présence au niveau des conseils municipaux, communaux et provinciaux. C’est en fait au niveau du profil des parlementaires qu’apparaîtront les principales nuances entre ces partis.

Ainsi, côté éducation, les trois partis alignent des niveaux d’études allant du primaire au supérieur, avec de très légères variations. Toutefois, au niveau professionnel, si les commerçants et entrepreneurs, juristes, professeurs, chercheurs, médecins, ingénieurs ou agriculteurs sont présents dans les trois formations, les proportions varient selon les partis. Ainsi, les commerçants et les hommes d’affaires sont nombreux côté Istiqlal, mais le sont encore plus au RNI où ils représentent près de la moitié des effectifs. Les Harakis, eux, sans surprise, disposent du plus grand nombre d’agriculteurs, mais les autres partis en comptent aussi dans leurs rangs.

PJD, le parti des profs ?
Côté USFP et PJD, où la moyenne des retours au Parlement avoisine les 50%, on n’a pas grand-chose à envier aux autres partis. Dans le parti de la rose, où l’âge moyen des parlementaires est de 54 ans, la majorité des députés a été puisée parmi les candidats les plus âgés du parti. Une situation qui explique pourquoi leur moyenne d’âge dépasse celle de leurs collègues islamistes (47 ans) dont la jeunesse relative reflète celle de leur parti. En matière de cursus académique, l’on notera que l’USFP se caractérise par un nombre important de députés ayant effectué des études supérieures - 28 sur 38, contre seulement 7 pour le niveau secondaire. Au PJD, 43 des 46 parlementaires ont poussé les études au-delà du Bac. Un autre détail intéressant ne manque pas d’attirer l’attention : l’USFP, qui comptait traditionnellement une majorité de députés issus de l’enseignement, n’en compte plus que 9, le parti s’étant, en revanche, davantage rapproché du monde des affaires avec 15 députés qui en sont issus. En même temps, 18 députés PJD viennent de l’éducation et de l’enseignement. Une situation caractéristique des islamistes au Maroc et dans le monde arabe en général, précise le politologue Mohamed El Ayadi. Toutefois, le PJD a aussi ses manques, ses députés se caractérisant par un nombre d’ingénieurs et d’hommes d’affaires très faible.

Sur le plan géographique, contrairement au PI, au RNI ou au MP, l’USFP et le PJD ont chacun un terrain de prédilection. Ainsi, les députés du PJD ont été presque exclusivement élus dans les grandes villes comme Casablanca, Salé, Fès ou Rabat, tandis que le parti de la rose, ancien parti urbain, a récolté ses élus essentiellement au niveau de petites villes comme Laâyoune, Azemmour, Sefrou, Benslimane, etc.

Des profils en place depuis les années 70
De son côté, avec 11 députés réélus sur 27, l’UC a constitué l’une des principales surprises de l’après-7 septembre 2007. Toutefois, à y regarder de plus près, l’on se rend compte qu’un nombre non négligeable de députés de ce parti ont plus de deux mandats derrière eux. En fait, plus de 8 d’entre eux en sont à leur troisième mandat, voire plus, M’hammed El Boukili, 85 ans, venant d’étrenner son cinquième mandat de député. Dans l’ensemble, les députés UC sont aussi âgés, en moyenne, que leurs collègues de l’USFP. Les niveaux de formation des députés de l’UC vont du primaire au supérieur à l’instar de la plupart des partis, une caractéristique que l’on retrouvera également au PPS. On remarquera toutefois au passage que le taux de retour des parlementaires a tendance à baisser fortement en dehors des grosses formations.

Peu instruits mais très présents au niveau local
Il reste qu’au-delà d’une augmentation de l’âge moyen des parlementaires marocains (ils étaient plus jeunes en moyenne en 1977), la distribution des différentes professions observée dans les principaux partis de la scène politique actuelle n’a pas connu de changement majeur depuis le Parlement de 1977. Il faut rappeler que, cette année-là, la nouvelle Chambre des représentants s’était caractérisée par la baisse dans ses rangs du nombre des agriculteurs et des grandes figures nationalistes qui avaient dominé les Parlements de 1963 et 1970. 1977 a véritablement, en fait, symbolisé l’année du renouvellement des élites. Cette année-là, après l’épisode de 1970 (boycott des élections par l’USFP et l’Istiqlal), les autorités se sont appliquées à mettre en place une nouvelle élite politique au niveau du Parlement, tout comme cela avait été le cas avec les élites économiques via la marocanisation des entreprises françaises, explique Mohamed El Ayadi. Un renouvellement qui interviendra avec la création du Rassemblement national des indépendants (RNI).

En 1977 également, les indépendants, qui avaient remporté 141 sièges en attendant de créer leur parti l’année suivante, comprenaient dans leurs rangs bon nombre de technocrates et de fonctionnaires issus de la bourgeoisie urbaine et du monde des affaires. L’arrivée de ces nouveaux profils a eu un premier impact, immédiat, dans la mesure où, à cette date, plus de la moitié des parlementaires (56,8%) disposaient d’une formation supérieure. Bien entendu, l’essentiel de ces nouveaux profils ira intégrer le RNI, mais pas tous. Plusieurs fonctionnaires et hauts fonctionnaires vont ainsi rejoindre l’Istiqlal et le MP, bon nombre d’enseignants l’USFP et l’Istiqlal et un nombre non négligeable de juristes opteront, certes, pour le RNI, mais aussi le PI, l’USFP et le MP. Bien entendu, la part du lion en matière de profils nouveaux est réservée au parti de l’ancien Premier ministre Ahmed Osman. Selon la chercheuse Maria Angustias Parejo Fernandez, qui a consacré un ouvrage aux élites politiques marocaines (*), il n’est pas exclu que cette nouvelle formation ait été mise en place pour concurrencer un Istiqlal déjà représentatif d’une fraction de la bourgeoisie urbaine et du monde des affaires.

Au fil des années, le RNI connaîtra à son tour une scission, avec la création du PND en 1981, mais son principal concurrent naîtra en 1984 avec la mise en place de l’UC, destinée, selon M. Parejo, à canaliser les disponibilités des classes sociales intermédiaires qui rassemblent fonctionnaires, professeurs, jeunes cadres et professions libérales. Toutefois, au-delà des équilibres parlementaires et des quelques fluctuations enregistrées au niveau du nombre d’agriculteurs, de fonctionnaires ou de cadres supérieurs, l’arrivée de l’UC sur la scène politique n’a pas eu d’impact sur la nature des profils présents au Parlement. Le parti regroupera donc professions libérales, fonctionnaires et commerçants, laissant au MP la population des agriculteurs, tandis que le RNI et le PI diversifiaient - comme aujourd’hui - leurs profils, et que l’USFP attirait particulièrement les professeurs.

Autant de tendances que l’on continue d’observer plus ou moins aujourd’hui à la différence près que si l’on trouve toujours des élus ayant le niveau d’études primaire, ils sont de moins en moins nombreux, tout comme l’élu totalement analphabète est une espèce en voie de disparition. Certes, dans un certain nombre de cas, il s’agit de députés d’un certain âge. Mais pour d’autres, beaucoup plus jeunes, leur accès à l’hémicycle malgré un niveau d’études peu élevé s’explique essentiellement par une forte présence aussi bien au niveau des instances locales élues que des instances professionnelles, en plus des liens tribaux.

D’ailleurs, c’est cette même présence au niveau local qui permet à beaucoup de candidats d’accéder au Parlement. Et ce n’est pas un hasard si dans certains partis comme l’Istiqlal, le MP, le RNI et, dans une moindre mesure, l’USFP, la quasi-totalité des parlementaires disposent de mandats parallèles, dans des localités qui, très souvent, abritent les circonscriptions où ils ont été élus, même si les candidats disposent d’un niveau d’études plus élevé.

Il n’est donc pas bien étonnant que les électeurs confondent les mandats de parlementaire et d’élu local. Une exception, toutefois, pour confirmer la règle : le PJD. En effet, dans le parti islamiste, et à de rares exceptions près, les députés sont homogènes non seulement par leur niveau d’études élevé mais aussi par leur absence de mandats locaux... Au-delà de ces nuances, finalement, le portrait du représentant marocain en 2007 n’est pas très différent de celui d’il y a 30 ans !

Houda Filali-Ansary
Source: La Vie Eco

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