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Marginalisation des femmes dans la politique marocaine

Elles ont cru la bataille gagnée lorsqu’en 2002 le principe de la discrimination positive a été officiellement admis. Il consacrait de fait un quota de 10% permettant l’accès significatif des femmes marocaines à la Chambre des représentants. Le lobbying mené par les militantes des partis politiques, relayées au niveau des ONG, a été payant. «L’atout principal de la commission nationale des femmes a résidé dans sa capacité à transcender les clivages politiques», raconte aujourd’hui l’une de ses membres.

Représentantes de la gauche, de la droite ou du centre, elles ont mis de côté leur condition partisane pour ne garder en vue que l’objectif commun «d’assurer à la femme une meilleure présence dans les instances de décision». Elles ont fait fi de la discipline partisane, forcé les portes des chefs et des responsables du gouvernement et sont parvenues à faire entendre leur voix.

La liste nationale des femmes, admise au terme d’un combat politique, juridique, voire sociétal, est aujourd’hui encore un acquis. Le projet du Code électoral, aujourd’hui débattu au Parlement, consacre le même principe pour les législatives de 2007. Soit une liste de candidatures féminines que les partis présenteront aux élections aux côtés de leurs listes régionales.

Femmes de tête et femmes alibi
Quel en sera l’impact? C’est la question que beaucoup posent aujourd’hui. Le processus engagé par les militantes de la cause féminine en 2002 n’a pas été un succès total. Il cache autant de frustrations, de déceptions que de défections dans les rangs. L’aveu de Bouchra El Khyari, députée FFD à la Chambre des représentants est à méditer. «J’ai eu de l’amertume de ne pas trouver siégeant à mes côtés au Parlement des militantes de la première heure», nous a-t-elle confié. Elle a explicitement cité Latifa Jbabdi, aujourd’hui membre du bureau politique de l’USFP. La présidente de l’Union des femmes du Maroc, qui était à l’avant-garde du mouvement d’action pour la réforme de la Moudawana en 1993, avec sa fameuse pétition d’un million de signatures, a été laissée sur le carreau en 2002. Et ce n’est pas faute d’avoir tenté de briguer le mandat législatif. Son parti -alors PSD- n’a pu résister face aux grandes formations qui ont raflé la mise des députations féminines à la faveur notamment d’un seuil d’éligibilité fixé à 3%.

Ce cas est pourtant loin d’illustrer la gestion -que d’aucuns jugent chaotique- du dossier de la représentation féminine au Parlement. Rabéa Naciri, longtemps mise en avant par le FFD, Zhor Rachik, porte étendard de la cause féminine au sein du MP, Rachida Tahiri, à l’avant-poste du mouvement féministe au sein du PPS ont brillé par leur absence lors d’un scrutin qui avait fini par intégrer leurs propres doléances. La liste n’est pas exhaustive.

Zhor Rachik, première femme admise au bureau politique du MP, raconte comment la tâche avait été ardue de vaincre les réticences et amener les instances partisanes à consacrer un droit de cité aux femmes. «Nous avons bataillé dur pour faire plier des caciques farouchement hostiles à la cause féminine», se souvient-elle. L’espoir était donc permis. Le revirement a pris de court les plus optimistes. A l’annonce de la composition des listes des candidatures, la chaîne de la solidarité féminine s’est brisée.

«Parachutage et nominations de complaisance» auraient prévalu dans le choix des listes. «Nous attendions des femmes de tête, nous avons eu des femmes alibi», raconte une militante. Au MP, au FFD, au RNI et ailleurs, des femmes pourtant membres des instances dirigeantes de leurs partis ne se remettront jamais de la manière dont les candidatures ont été «concoctées». Elles ont été mises devant le fait accompli de découvrir leurs noms figurant sur les listes loin derrière de nouvelles recrues «voire des inconnues», souligne Zhor Rachik. Elle raconte comment «les choses se sont faites en catimini, loin de toute transparence».

«Les élections, une affaire d’hommes»
Le cas, pourtant anecdotique, de ce membre d’un bureau politique qui a réussi à faire placer sa femme en tête de liste de son parti, fait grincer des dents. Ses amis n’auraient pu mieux trouver que d’invoquer «les sacrifices faites par cette femmes pour préparer à son homme un cadre favorable à son épanouissement à la fois personnel et politique» pour justifier sa candidature. «C’est une forme de militantisme que de favoriser l’engagement politique de son mari», avait lancé un militant lors de la réunion de préparation des listes des candidatures. «L’affront fait aux femmes dépasse l’entendement», souligne une militante. «Méprisées, elles ne sont tolérées que pour meubler la vitrine». Le jugement est-il sévère? Il revient souvent dans la bouche des militantes qui avouent que leurs collègues hommes leur font la vie dure. «L’engagement pour la promotion de la femme en politique ne dépasse pas le stade du slogan», affirme Rachik. C’est tout le système que pointe du doigt cette femme qui a passé 20 ans dans les arcanes partisanes. Les partis politiques sont à ses yeux, «des machines d’exclusion à la fois des femmes, des jeunes et globalement des compétences».

Le constat s’impose, par ailleurs, de l’absence de leadership politique féminin. Les femmes sont nombreuses à quitter le milieu au plus fort de leur engagement politique. Le cas le plus illustre est celui de Badiâa Skalli. Celle qui a été l’une des premières femmes à investir la forteresse du Parlement a préféré s’abstenir de briguer un mandat au sein du bureau politique de son propre parti.

Longtemps, les femmes ont préféré l’engagement au sein des ONG à celui des partis politiques où elles restaient cantonnées dans des sections sans impact sur la vie du parti. Leur entrée en scène en 2002 promettait de marquer la rupture avec ce passé où elles étaient invisibles. On parlait volontiers du printemps démocratique des femmes. L’accès de celles-ci au Parlement fera-t-il reculer la cause féminine au Maroc? C’est la crainte qui pointe aujourd’hui dans les discours. «Les dirigeants des partis ont pris soin de choisir des profils dociles et malléables. Elles sont sous contrôle total de leurs instances », souligne une militante. «C’est ce qui explique le manque de solidarité entre les femmes pour des questions majeures qui engagent pourtant leur avenir», indique-t-elle.

Impact limité
En tolérant leur présence au Parlement, les partis politiques n’ont pas donné des pouvoirs réels aux femmes. Ainsi, souligne cette députée, «lorsque les questions orales ont une portée politique significative, elles sont posées par les hommes. Les femmes interviennent sur des sujets de moindre importante et souvent lorsque les caméras de la télévision sont éteintes». Les partis politiques se seraient, de fait, arrangés pour «limiter l’impact de la présence féminine au sein de l’instance législative». Le reproche est également fait aux femmes qui n’ont pas su profiter de l’aubaine pour faire avancer leur propre cause. Les conditions ayant entouré la création du Forum des femmes parlementaires, qui a raté l’objectif d’être un outil efficace de mobilisation et de lobbying, favorisent ce constat. Aujourd’hui, le forum est critiqué par ses propres initiatrices. «Quoi de mieux pour discréditer l’action et les images des femmes politiques», s’interroge Milouda Hazib. Pour cette députée du PND, les femmes ont largement contribué à leur propre échec.

Nouzha Skalli est plus tolérante à l’égard de ses paires. «Il ne faut pas oublier que, dans les commissions parlementaires, leur présence a toujours été plus significative que celle des hommes». La députée du PPS, qui a eu le privilège de diriger le groupe parlementaire de son parti, témoigne de l’assiduité, du sérieux et de l’implication de certaines femmes durant leur mandat. Que pèse cette implication dans la balance des choix partisans où les règles sont «100% masculines»? «Les lois au sein des partis politiques sont faites par les hommes et pour les hommes», souligne Mohamed Raoudi. Quelles règles dicteront-ils à l’occasion des législatives 2007? Quel profil des candidates l’élection fera-t-elle émerger? Les questions se multiplient à l’occasion d’une consultation dont-on ne semble pas maîtriser les enjeux?

Zhor Rachik: L’élan brimé
«C’est tout un édifice qu’ils ont fait s’écrouler». Une phrase qui dit toute l’amertume d’une femme ayant sacrifié toute une vie à faire de la politique. Privilégiant la politique à une carrière plutôt prometteuse au sein de l’administration marocaine, elle a vu son parti lui préférer d’autres femmes lors des élections législatives de 2002. Classée cinquième sur la liste, elle a préféré se retirer du jeu. Six mois loin du pays lui ont été nécessaires pour se refaire.

Aujourd’hui, elle plonge dans son association (Femme action) qu’elle avait également négligée au plus fort d’un engagement total pour le parti. L’affront qui lui est fait discrédite, à ses yeux, l’action même que le parti avait construit pour convaincre les femmes de s’engager en politique. Mais vise surtout le combat féminin.
« Les pratiques de parachutage, de clientélisme, de copinage, vont persister si la nouvelle loi n’est pas assortie de mesures punitives favorisant l’accès des femmes aux postes de décision », souligne-t-elle.

C’est un plaidoyer que font beaucoup d’autres femmes au sein des partis politiques. Nouzha Skalli avait déjà suggéré en 2002 que le principe de quota soit assorti de mesures de pénalités pour les partis qui passent outre. Elle avait ainsi avancé l’idée de conditionner les subventions financières accordées aux partis à leur capacité à céder la place aux femmes au niveau des instances dirigeantes et à favoriser leur participation électorale. L’engagement politique prend-il fin chez les femmes lorsqu’elles ont été éconduites ou marginalisées. Beaucoup jettent, en effet, l’éponge. Ce n’est pas le cas de Rachik. Cette mordue de la politique continue, à travers son association, pour l’engagement de la femme. Celle qui dit faire aujourd’hui de la politique citoyenne, a créé un livret pour inciter les femmes à s’impliquer en politique.

Khadija Ridouane
Source: L'Economiste

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