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Attentats du 16 Mai : Un RME témoigne

La nuit du 16 Mai 2003 restera gravée à jamais dans la mémoire de Hicham Elfassi, un étudiant marocain à Paris. Son père victime des explosions survenues à la Casa de España a consenti d’importants sacrifices pour que son fils puisse réussir ses études en France. Malheureusement le sort en a décidé autrement.
Aujourd’hui, Hicham et sa famille rencontrent de grosses difficultés financières en cette rentrée scolaire. Il se retrouve seul à Paris et recherche désespérément un logement afin de se concentrer sur son doctorat, hommage posthume pour son père.

Nous vous invitons à découvrir le témoignage poignant de ce jeune marocain dans cette interview exclusive pour Yabiladi.


- Yabiladi : Bonjour, pouvez vous vous présenter rapidement pour nos lecteurs ?
Quel est votre parcours?

- Hicham Elfassi : Après l’obtention du Bac en 1995, nous avons décidé mon défunt père et moi de poursuivre mes études supérieures en France. J’ai donc commencé par un DEUG Technologie Industrielle à la faculté des Sciences et Techniques de Besançon. J’ai ensuite enchaîné sur une licence EEA (Electronique, Electrotechnique et Automatique) et ensuite une Maîtrise EEA option Automatique et Informatique Industrielle. J’ai du interrompre mes études pour chercher un travail, j’ai donc suivi une formation professionnelle d’Architecte Développeur en Nouvelles Technologies. Après cela j’ai passé environ 10 mois à chercher du travail tout en réglant quelques problèmes de santé.

- Le 16 Mai représente un choc pour tous les marocains, racontez-nous un peu le déroulement des événements de cette nuit du vendredi 16 Mai.
- La nuit du 16 mai restera gravé à jamais dans ma mémoire. J’étais dans ma chambre en région parisienne en train de remplir les dossiers de candidature en DEA, mon téléphone a sonné vers 00h30 heure locale. C’était un ami qui habite à la défense, et qui est mon voisin à Casablanca. Il me demande alors si j’ai contacté ma famille, car il y’a eu des attentats pas loin de chez moi.
J’appelle donc sur le champ mes parents. Ma mère répond et j’entends derrière le bruit des sirènes et la voie des gens. Je lui demande qu’est ce qui se passe ? Où est mon père ? Est-ce que c’est à la Casa d’espana ?
Ma mère étant encore sous le choc me répond : ton père n’était pas à la ‘Casa’, il est allé avec ses amis dans un autre restaurant, et ton grand frère est parti à sa recherche, alors ne t’inquiètes pas !
Je raccroche et je téléphone à mon père sur son portable. Je tombe sur le fameux discours de Maroc Telecom, et là je commence vraiment à imaginer le pire pour mon père.
Je n’ai pas cessé d’appeler pendant toute la nuit car effectivement je n’avais aucune nouvelle. Malgré l’empressement de ma mère et mon petit frère qui se sont précipités vers la Casa d ‘espana (à 30 mètres de chez moi), ils n’ont pas réussi à trouver la trace de mon père. Ils ont recherché parmi les cadavres et vu les pires barbaries que l’être humain peut voir dans sa vie. Je préfère passer les détails très choquants.
A 6 heures du matin, je suis à l’aéroport en train de chercher un billet aller pour Casablanca. La seule place que j’ai pu trouver était à 15h00. Je prends donc l’avion sans savoir si mon père était mort ou pas.
Ce n’est qu’après mon arrivée à Casablanca que j’ai eu l’information par ma mère attristée. J’étais anéanti d’apprendre que mon père a été tué dans un attentat avec lequel il n’avait rien à voir comme toutes les autres victimes.


- Avez-vous eu un soutien sur place, une prise en charge psychologique, un soutien moral?
- Etant donné que nous sommes musulmans et croyants, le seul soutien que j’ai pu avoir est celui de ma famille, mes proches et tous mes amis ainsi que tous les médias, les associations, les institutions qui ont condamné ces horribles actes terroristes.

- La disparition de votre regretté père a bouleversé votre vie de famille. En plus du choc terrible dû à la perte d'un être cher, c'est le revenu de la famille qui a été affecté. Comment votre famille arrive à s'en sortir?
- Nous sommes une famille moyenne et très modeste, et nous le restons toujours, car les principes de notre petite famille ont toujours été fondés et basés sur l’honnêteté, l’honneur et le respect des autres. Bien sûr que la mort de mon père affecte pleinement notre vie de famille, car le père au Maroc est considéré comme le chef de famille et on compte beaucoup sur lui, que ce soit sur le plan financier et/ou moral. Malheureusement, plus rien ne sera comme avant. Ma famille restera toujours en manque d’argent, et pour tout vous dire, nous ne possédons aucun bien immobilier, et l’appartement ou nous vivons est toujours en location, de même que mon père n’avait pas de voiture !
Mon défunt père était un simple fonctionnaire au ministère des finances, il avait et a toujours même après sa mort des soucis d’échelon et de grade. Durant ses derniers jours, c’est devenu son sujet de prédilection, car il n’avait pas obtenu tous ses droits. Il s’est toujours battu pour que ces fils aient un très bon niveau scolaire et vivent dans de bonnes conditions. C’est lui qui a toujours financé mes études depuis le début. Il avait même contracté un emprunt dans ce but.

- Vous avez songé à rester au Maroc au coté de votre famille après la disparition de votre père, pourquoi avez-vous renoncé à cette idée?
- Effectivement, j’ai pensé rentrer définitivement au Maroc pour m’y installer, être proche de ma famille et ne plus jamais les quitter (car le moment le plus pénible à supporter et d’être loin de sa famille et ses proches).
Mais en réfléchissant à ce que mon défunt père me recommandait de faire à chaque fois qu’on parlait de mon avenir (obtenir un doctorat), ma famille et moi avons pris la décision de poursuive mes études en 3éme cycle à Paris. Ceci me permettra de réaliser le rêve de mon défunt père, et donner une valeur sûre à mon avenir professionnel.
Certes cette décision est à la fois judicieuse pour mon avenir, mais douloureuse pour ma famille et moi, car on est de nouveau éloigné l’un de l’autre. Avec les évènements par lesquels nous sommes passés, il y’a toujours une peur qui réside quelque part en nous.

- Avez vous eu un soutien du ministère des finances employeur de votre père?
- Le ministère des finances, et par le biais de son directeur général M. BENSOUDA, que je tiens à remercier énormément pour son geste fort appréciable.
Ce qui reste en suspens au ministère des finances est de débloquer la situation de mon défunt père, notamment au niveau de son échelle, de sa retraite et son capital décès. Cela permettra au reste de ma famille de vivre normalement et sans soucis d’argent.

- Quelles sont les actions qui peuvent débloquer votre situation aujourd'hui?
- Aujourd’hui, le souci majeur pour moi afin de mener à bien mon cursus universitaire est de pouvoir décrocher un bon sujet de doctorat et de trouver un logement. Je fais pour cela appel à toute bonne volonté capable de m’aider à trouver un domicile.

- Quatre mois après la catastrophe du 16 Mai, quel regard portez-vous sur le Maroc d'aujourd'hui?
- Je porte et je porterai toujours le même regard sur le Maroc à savoir un pays très riche en ressources naturelles et humaines, un pays de culture.
J’ai toujours aimé le Maroc, mon pays natal, et je continuerai à l’aimer quelles que soient ses qualités et ses défauts.

- Quel message désirez-vous transmettre à la jeunesse marocaine, qui semble désintéressée de toute implication politique?
- Bien que la politique pour moi soit un domaine dont mes connaissances sont limitées, je tiens à préciser que le drame qui a frappé ma famille ainsi que les autres familles des victimes des attentats du 16 mai, aurait pu arriver à n’importe quel citoyen Marocain. C’est pour ça qu’on est tous responsables de ce qui se passe chez nous aujourd’hui, et on doit se mobiliser et s’impliquer un peu plus dans la vie de tous les jours.

- Un dernier mot ?
- Je condamne fortement ces attentats terroristes de Casablanca qui n’ont touché que des innocents. Je présente mes condoléances à toutes les familles des victimes des attentats du 16 mai 2003, ainsi qu’à toutes les familles des victimes d’attentats terroristes dans le monde entier.
Je vous remercie et que tout le monde vive en paix.

Nous remercions Hicham pour son témoignage et nous saluons son courage.
Nous invitons toutes les personnes susceptibles de l’aider à le contacter directement.
Sa situation précaire est inacceptable au regard du drame qui a affecté sa famille.
Mail : [email protected]

Post Scriptum :
Hicham Elfassi nous a contacté Mercredi 24 Septembre 2003 pour nous annoncer que la Cité Internationale à Paris lui a octroyé une chambre étudiant.
Il remercie toutes les personnes lui ayant envoyé leur message de soutien ainsi qu'aux associations l'ayant contacté.
Il peut désormais se concentrer sur son doctorat et honorer la mémoire des son défunt père.


Rachid - Yabiladi.com

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