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Architecture : Au royaume des chantiers

Le Maroc s’apparente à un vaste et continuel chantier. L’habitat social ou les villes nouvelles sont quelques-unes des opportunités offertes aux architectes. Du moins à ceux qui ont un réseau…

Bravo ! C’est la deuxième fois qu’un architecte nord-africain, marocain de surcroît, voit son cabinet certifié. Il s’agit en l’occurrence de celui de Toufik el-Oufir. Dans le BTP (au sens le plus large), au Maroc, cela constitue une bonne nouvelle, d’autant que ce secteur est le dernier de la classe en termes de certification de l’Organisation internationale de normalisation (Iso), au plan national, notamment à cause de l’économie informelle. Le précédent titre, c’est à Abdeslam Basset – remarquable architecte cosmopolite et pétillant docteur en urbanisme – que le Maroc le doit. C’est dans le cadre de son activité au sein du cabinet Basset, Bernard & Durand, à Aix-en-Provence, qu’il obtient le précieux certificat de la société scandinave DNV, en 2000.

Les prix raflés à Johannesburg par les architectes du Maroc, à l’issue de la première phase du concours mondial de construction durable, sont une autre nouvelle réjouissante. Ce concours avait été lancé par la Fondation du cimentier transnational Holcim.

Autre récompense notable, mais au niveau strictement national : le Grand Prix Mohamed VI de l’habitat social, dont le souverain a fait annoncer la création, le 18 janvier dernier, lors de la Journée nationale des architectes. La profession y a été comme adoubée par le jeune monarque, vingt ans après le fameux discours d’Hassan II aux architectes nationaux et après que ces derniers ont été longtemps marginalisés, voire méprisés, par les autorités. C’était à une époque où un certain Michel Pinceau était l’oreille du défunt roi dans ce secteur.

Aujourd’hui, surtout en raison d’une politique volontariste, en termes d’habitat et d’urbanisme, la construction connaît un essor fulgurant à travers le pays. Des architectes y sont d’ailleurs partie prenante. Pour désengorger les grands pôles urbains, des villes nouvelles apparaissent ici et là. Située à proximité de Marrakech, Tamansourt se veut emblématique de ce mouvement. Ces villes-satellites comprendront un type de logement nouveau, qui cible la classe moyenne : la Villa Eco. Concept que l’on doit à un architecte du ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme (MHU), Abderrahim el-Yadini, et qui a été politiquement validé par son ministre de tutelle, le médiatique Toufik Héjira. Néanmoins, il ne faut pas oublier cette priorité nationale qu’est l’éradication du fléau de « l’habitat insalubre ».
L’enjeu est social et économique. Le Crédit du Maroc ne s’y est pas trompé. Cette banque a signé une convention avec le Conseil national de l’Ordre des architectes lors de la journée dédiée à la profession. Un autre accord a été signé, le 14 février dernier à Rabat, entre l’instance professionnelle et son équivalent espagnol, dans le cadre d’un partenariat en gestation depuis 2003.

De l’allure des bâtiments à l’aménagement des villes, il n’y a qu’un pas. C’est ainsi que la Journée des architectes a consacré l’un de ses ateliers au Code de l’urbanisme. « Notre urbanisme a progressé sous le protectorat et a régressé ces dernières décennies », s’est exclamé un participant. Au cours de l’élaboration de ce code si vivement souhaité, la corporation aura son mot à dire.

En attendant, l’architecture et la construction continuent de souffrir des maux que sont le non-professionnalisme, l’appât du gain, l’arnaque, le plagiat, la corruption… Ces travers induisent un non-respect des normes, qui aboutit à une hausse des nombres d’effondrements et de morts d’hommes. Il y a lieu de s’inquiéter de l’état de ruine avancé de joyaux historiques comme le théâtre Cervantès, à Tanger, et l’hôtel Lincoln, à Casablanca. Pour le second édifice, Ahmed Hariri, architecte mandaté par les acteurs du dossier, a toutes les cartes en main pour que le majestueux bâtiment néomauresque soit sauvegardé et remis en valeur. Il ne lui manque qu’un ultime et mystérieux feu vert administratif.

Ici, comme dans le reste du Royaume, les compétences existent : sur le marché, au MHU… Très active, l’agence des Ateliers Basset promeut le développement urbain durable, s’attelant à refaçonner la façade océanique de Rabat ou à impulser la mise à niveau de Salé. Deux autres cabinets font également l’actualité : ceux de Rachid Andaloussi – le plus médiatisé au Maroc – et d’Abdelwahed Mountassir. Ils sont en charge du prestigieux chantier de la Bibliothèque nationale. Leur projet, faisait notamment appel au béton blanc et au cèdre de l’Atlas, entend allier authenticité marocaine et technologie aux normes internationales.

Précisément, la question du cachet marocain divise. « Au nom de l’identité marocaine, on pratique trop fréquemment le pastiche, voire la caricature, alors qu’il faudrait garder non pas la forme, mais l’esprit de cet héritage. Certaines chaînes hôtelières tombent dans ce travers », s’écrie Patrice de Mazières, un des pionniers de l’architecture du Maroc contemporain, natif de Rabat. Entre partisans du moderne à tout prix (façades high-tech, murs-rideaux…) et tenants du traditionnel pur et dur (zelliges, arcades, tuiles vertes…), il existe bel et bien une voie médiane. Le renouveau des métiers d’art séculaires et la redécouverte des matériaux locaux redonnent sens et vigueur à l’architecture marocaine.

La construction en terre est de nouveau légitimée, particulièrement sous l’effet d’une mode partie de Marrakech. Cependant, les architectes épris de cette technique craignent que sa relance ne soit compromise par la récente réglementation antisismique. Une certitude demeure néanmoins. Valoriser le patrimoine marocain est payant, comme le montre Marrakech Médina, une équipe d’architectes de la Ville ocre proposant de restaurer des ryads.

A Casablanca, jadis laboratoire d’une avant-garde architecturale, le cachet marocain, même revisité, semble ne pas susciter d’intérêt. Le Casa City Center, prometteur complexe hôtelier, d’affaires et de loisirs (en chantier sur la côte), s’inscrit dans la droite ligne de l’architecture très européanisée de la capitale économique. L’auteur du projet est d’ailleurs Patrick Collier, un Français qui réside depuis de longues années au Royaume où il a démarré son activité avant que la loi ne « marocanise » la profession.

Cette rigueur juridique a été contournée pour l’ambitieux chantier Tanger-Med. La très officielle Agence spéciale Tanger Méditerranée a sollicité des « architectes-stars » étrangers, ce qui a généré un sentiment d’humiliation. Figure réputée de l’architecture, Aziz Lazrak s’est démarqué de la majorité de ses pairs en dénonçant publiquement la démarche. Finalement, Jean Nouvel a été désigné comme architecte-designer du complexe portuaire. Son projet comprend un cadre de travail pour un collectif d’architectes marocains, défini en partie.

De manière plus générale, il est problématique pour un architecte local d’œuvrer dans le secteur privé. Un professionnel débutant, ne bénéficiant pas de réseau, ne peut s’en sortir en travaillant à son compte. « J’ai trop souvent à faire à des promesses sans lendemain », déplore Aziza Lahrech, une jeune professionnelle de Rabat, issue de l’école nationale d’architecture (Ena). Rien d’étonnant à ce qu’un grand nombre de nouveaux diplômés n’aient pas d’autre choix que de se faire embaucher dans le secteur public. Pesanteurs ethnoculturelles ou non, le clientélisme et le favoritisme, en général, ont encore de beaux jours devant eux. Même les concours initiés par les pouvoirs publics sont majoritairement biaisés. Pour y gagner, le copinage est plus sûr que le mérite.

Du côté des sociétés d’extraction étrangères, y a-t-il un espoir de voir embaucher des architectes du Royaume ? Il y a quelques mois, la filiale marocaine de Somfy décidait de recruter un professionnel du pays.

En vérité, les opportunités les plus séduisantes, – ou les plus visibles, du moins – pour les professionnels marocains, se nomment Plan Azur (pour le tourisme), Programme des 200 000 logements, stratégie Villes sans bidonvilles ou Contrat-programme Casablanca 2012. Encore faut-il que les architectes y soient associés de façon digne et dans les règles de l’art.

Dominique FRANCŒUR
Source : Arabies

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