Menu

Le Maroc durcit les conditions d’emploi des étrangers

· L’employeur doit prouver que leurs profils sont «rares et recherchés»
· Une manière de favoriser la demande locale
· Mais des subterfuges sont là pour contourner la loi



Depuis près de sept mois, B.A., jeune journaliste française, travaille dans une PME casablancaise. Mais sa situation n’est pas tout à fait «en règle» vis-à-vis de la réglementation sur l’emploi des étrangers. Dans son article 516, le code du travail stipule que «tout employeur désireux de recruter un salarié étranger doit obtenir une autorisation de l’autorité chargée du travail». Autorisation accordée sous forme de visa apposé sur le contrat de travail établi entre l’employeur et le salarié étranger. Or, si B.A. a bel et bien signé un contrat de travail avec son employeur, depuis février, celui-ci n’est pas toujours visé par le ministère de l’Emploi. Et pour cause, elle doit «prouver», comme l’exige un arrêté ministériel publié au Bulletin officiel du 17 mars 2005 et dont l’application a commencé le 15 mai, que son profil est «rare et recherché». Autrement dit, il n’y a pas de demandes locales pour l’emploi qu’elle occupe. Une attestation délivrée par l’Anapec (Agence nationale pour la promotion de l’emploi et des compétences) devant confirmer cela. «Mon dossier est ficelé. Il m’a fallu plus d’un mois pour tout réunir. J’ai tous mes diplômes, des lettres de recommandations de mes anciens employeurs. J’espère que cela suffira». B.A. ne cache pas son inquiétude d’autant que son visa de séjour au Maroc a expiré et que sa demande de prorogation n’est pas encore satisfaite.

D’autres étrangers désireux, eux aussi, de travailler au Maroc sont dans le même désarroi que B.A. Quelques-uns ont déjà essuyé un refus pour leur demande. Mais ils ne comptent pas baisser les bras. Des subterfuges leurs permettent de contourner la loi. Certains, dont beaucoup de Chinois, montent une SARL -que l’on domiciliera souvent dans son lieu d’habitation- le temps de décrocher la fameuse autorisation. De la sorte, ils passent pour des gestionnaires, catégorie qui rentre dans les cas d’«exceptions» (actionnaires gestionnaires, cogestionnaires, mariages mixtes…) pour lesquels le visa du contrat de travail est accordé illico.

«Des fiduciaires font un bon commerce avec ce genre d’affaires», indique un responsable au ministère. Raison pour laquelle les services de l’emploi des étrangers impliquent désormais l’Inspection du travail. Un des cinq exemplaires du contrat de travail (au lieu de 4 auparavant) est en effet adressé à la délégation du travail qui se chargera de vérifier l’exactitude des déclarations du demandeur. Faut-il y voir un durcissement des conditions d’emploi des étrangers?
Pour Jamal El Jirari, chef de la division de l’Intermédiation au ministère de l’Emploi, qui affirme que le visa est apposé sur place si tout est en règle, ces mesures visent effectivement à protéger le marché de l’emploi. Ainsi par exemple, dit-il, vu le taux de chômage et le nombre de demandes locales non satisfaites, le passage par l’Anapec contribue à protéger le marché de l’emploi. Mais en même temps, explique El Jirari, il ne s’agit pas de fermer complètement l’accès aux étrangers. Mondialisation oblige. Il est normal, comme le soulignait Saâd Bendidi, PDG de l’ONA, lors de sa première sortie médiatique (www.leconomiste.com), de s’ouvrir aux compétences étrangères. Les entreprises qui comptent aller à l’international ou qui traitent avec des partenaires étrangers doivent recruter un certain nombre de cadres étrangers.

Il ne faut donc pas être rigide, estime El Jirari. «Des solutions intelligentes doivent être toujours proposées pour satisfaire les demandeurs». D’ailleurs, affirme-t-il, «souvent quand nos services trouvent que l’employeur tient à son salarié étranger, ils finissent par viser le contrat de travail». C’est le cas par exemple de certaines franchises qui, pour respecter leur cahier des charges, doivent recruter des profils précis. Il en est ainsi de la franchise Cartier qui a soumis une demande pour une vendeuse étrangère. «De premier abord, en se fondant sur l’attestation de l’Anapec qui comptabilise nombre de demandes locales de vendeuses, un refus s’imposait. Mais après examen, il s’est avéré que la franchise avait besoin d’un profil bien précis», souligne El Jirari.

En tout cas, de plus en plus d’étrangers viennent au Maroc chercher un emploi. Les Français sont toujours majoritaires même si d’autres nationalités commencent aussi à percer. Des entreprises étrangères, turques ou chinoises par exemple, ont remporté dernièrement des marchés publics (les Turques pour l’autoroute Settat-Marrakech).

Pour les missions d’encadrement notamment, elles préfèrent employer leurs concitoyens. C’est aussi le cas pour des fonctions «sensibles», comme la comptabilité par exemple. Mais, aussi pour des fonctions subalternes.

Un suivi est assuré par les services de l’emploi des étrangers pour que leur nombre reste raisonnable. En principe, ils ne doivent pas dépasser 30% des effectifs globaux employés. «Nous recevons régulièrement des listings qui nous permettent de vérifier la proportion d’étrangers employés dans ces chantiers», indique un autre responsables au ministère de l’Emploi. Et généralement, celle-ci ne dépasse pas les 20%.


Des exceptions

Le Maroc a des conventions pour la réciprocité dites d’établissement avec trois pays: la Tunisie, l’Algérie et le Sénégal. Les ressortissants de ces pays sont donc dispensés de passer par l’Anapec. Du moment qu’un employeur leur offre un emploi, le visa du contrat de travail leur est accordé.

Une certaine souplesse est aussi observée pour les ressortissants français qui travaillent déjà au Maroc. Ainsi, leurs enfants peuvent obtenir sans problème leur autorisation de travail. De même, pour le renouvellement, un Français qui a déjà son visa pour un an peut le renouveler sans avoir à passer par l’Anapec. Ce qui n’est pas le cas pour les autres étrangers.

Une administration d’un autre âge

Il faut le voir pour le croire. Dans les services de l’emploi des étrangers -véritable vitrine du Maroc puisque c’est l’une des premières administrations avec laquelle traite un étranger- les conditions de travail sont d’un autre âge. Tout est encore fait manuellement. Toutes les données recueillies sont traitées à la main. Des tiroirs métalliques rouillés (ils sont vieux de plusieurs décennies) servent pour l’archivage. «Certains dossiers datent du Protectorat», affirme un fonctionnaire. Et souvent, il est fait appel à la bonne mémoire de ces fonctionnaires dont un bon nombre sont sur le point de partir à la retraite, pour retrouver un fichier. «On imagine mal de jeunes lauréats travailler dans ces conditions», commente un responsable. Une consolation cependant. A partir d’octobre prochain tout sera informatisé et les formulaires de demandes de visa du contrat de travail, actuellement en vente dans les commerces, devront être mis en ligne. C’est ce qu’affirme Jamal El Jirari qui compte sur le soutien de la coopération française pour «relooker» son service, en améliorer l’accueil et le fonctionnement.
Pourvu juste qu’il ne rencontre pas de résistances de la part de ses collègues!

Khadija EL HASSANI

Source: L'Economiste

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com