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Le Maroc s'ouvre aux écoles supérieures

En plein décollage économique, le royaume cherche à attirer les écoles françaises de gestion et d'ingénieurs. D'autres pays avancent leurs pions.

Une villa tranquille dans un quartier résidentiel de Casablanca, avec son petit jardin, ses pièces aux murs couverts de faïences et ses plafonds de stuc. C'est ici qu'est hébergée - provisoirement - l'Eigsica, antenne marocaine de l'Ecole des ingénieurs en génie des systèmes industriels (Eigsi) de La Rochelle. Lancée à la rentrée 2006, elle ne compte pour l'heure qu'une quarantaine d'étudiants : 25 en première année et 13 en deuxième. Mais, à moyen terme, la direction vise quelque 500 inscrits - presque autant qu'à La Rochelle. Des activités de formation continue sont également prévues. Et, dès l'an prochain, l'école devrait emménager dans des locaux plus vastes, au coeur du quartier des affaires.

A Casablanca, les élèves suivent exactement le même programme qu'à La Rochelle, sur la base d'un cursus en cinq ans - autrement dit, avec une « prépa » intégrée. Durant les trois premières années, un tronc commun de neuf disciplines leur est proposé. Ensuite, ils iront poursuivre leurs études en France, pour deux années de spécialisation. A la clef, un double diplôme, une formule qui fait mouche auprès des candidats. De leur côté, les élèves rochellais peuvent effectuer un ou deux semestres à l'Eigsica.

« Nous cherchons à répondre à la forte demande d'ingénieurs généralistes des entreprises marocaines, notamment dans les domaines du génie mécanique et du génie industriel, explique Sylvain Orsat, le directeur général. Nos diplômés sont polyvalents : ils peuvent intervenir à tous les stades du cycle de production ou de conception d'un produit ou d'un service. »

La greffe, en tout cas, semble prendre. Les élèves se déclarent séduits par cette formation « polyvalente », en petit comité, qui leur assure en outre un encadrement quasi individualisé. « Je voulais une formation d'ingénieur de bon niveau, indique par exemple Mohammed Ech-Charfi, étudiant en deuxième année, qui a déjà effectué un stage chez Maroc Aviation (groupe EADS). Mais j'étais trop jeune pour partir en France. Ici, nous bénéficions d'un enseignement presque sur mesure. » « Nos élèves ont un excellent niveau, assure Djamila Karrakchou, professeur de mathématiques. La plupart d'entre eux se classent dans le premier quart de ceux de l'Eigsi. »

Vitrine internationale
L'Eigsi dispose désormais d'une vitrine internationale, qu'elle pourrait d'ailleurs proposer d'ouvrir, sous des formes à définir, aux trois autres écoles membres comme elle du réseau IngéFrance (1).

Il est vrai que le Maroc, comme nombre de pays émergents, est confronté à un problème majeur : le manque de cadres compétents et bien formés, en particulier des ingénieurs. Alors que les besoins des entreprises explosent, notamment pour l'aéronautique, l'automobile ou les activités offshore (informatique, centres d'appels...). « Avec une croissance moyenne de l'ordre de 5 % l'an sur les dix dernières années, le pays a un besoin urgent de compétences dans tous les domaines et de tous niveaux », souligne Dominique Brunin, directeur général de la Chambre française de commerce et d'industrie du Maroc (CFCIM).

Aussi le pays a-t-il choisi de miser à fond sur la formation. Il a lancé, il y a deux ans, un plan ambitieux, baptisé « Emergence », qui prévoit la formation de 10.000 cadres techniques et ingénieurs par an dès 2010 - contre à peine 4.200 l'an dernier. Une « charte nationale » visant à faire de l'enseignement un acteur clef du développement a été signée. En outre, le monde de l'éducation s'ouvre aux entreprises : accueil de stagiaires, interventions de cadres et de dirigeants dans les cours... Un Conseil de l'enseignement supérieur a vu le jour. Une instance d'accréditation des universités est également en vue, afin de mieux maîtriser la qualité de l'enseignement dispensé.

Enfin, un important effort est accompli en matière d'orientation des jeunes. « Jusqu'à présent, nous formions en majorité des littéraires et des diplômés de sciences humaines », précise Ali Benboubker, gouverneur de la préfecture de Casablanca. Les passerelles ont donc été multipliées, permettant ainsi à des étudiants en littérature de se tourner vers des disciplines plus en phase avec les besoins de l'économie. Le passage au LMD (licence, master, doctorat), qui facilite lui aussi les passerelles, s'inscrit dans cette logique. « Nous avons été parmi les premiers à adopter le LMD, dès septembre 2003, avant la plupart des universités françaises », observe Mohammed Barkaoui, président de l'université Hassan-II à Casablanca.

Bref, une véritable mobilisation générale. « Tout le Maroc est d'accord sur un point : le meilleur investissement pour notre développement, c'est la formation », affirme Ali Benboubker. Et, dans ce domaine, le pays compte en priorité sur ses liens traditionnels avec la France - où l'on compte 30.000 étudiants marocains - pour attirer les écoles et les universités de l'Hexagone.

Avantage à la France
De fait, l'Eigsi n'est pas la seule école d'ingénieurs française à prendre pied au Maroc. L'Esiea (2) s'est ainsi installée sur place l'an dernier, à Casablanca elle aussi. L'Epitech (groupe Ionis) a ouvert en septembre son campus, toujours à Casablanca. Et le groupe Supinfo vient de dévoiler un très ambitieux projet marocain, avec pas moins de huit campus ou implantations en cinq ans. Au programme, cycle préparatoire, cycle ingénieur (avec double diplôme), mastères, formation continue, certificats spécialisés... Problème, toutefois : depuis quelques années, l'enseignement des disciplines scientifiques doit être dispensé en arabe. Résultat, les élèves éprouvent ensuite quelques difficultés à suivre un cursus en français...

De leur côté, les écoles de gestion ne sont pas en reste. L'ESC Toulouse forme des bac +3 en formation continue et propose aussi deux mastères, en marketing, management, communication et en audit comptable et financier. Grenoble EM a tissé des liens étroits avec l'Esca (3) de Casablanca, notamment pour un mastère en logistique et un MBA. L'ESC Lille offre également un mastère en logistique. Les universités s'y mettent aussi : les IAE de Strasbourg et de Valenciennes, l'université de Nice sont présents au Maroc. La CFCIM a aussi aidé à la création de l'EFA (Ecole française des affaires), qui forme des cadres à bac +3. Enfin, le CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) propose la gamme complète de ses formations à distance, tant en management que dans les disciplines techniques.

Reste que les institutions françaises, si elles disposent d'un certain avantage au départ, ne sont pas seules en lice. « Plusieurs autres pays ont compris que la formation constituait un bon levier pour conquérir des parts de marché au Maroc », observe Dominique Brunin. Des universités ou des institutions américaines, mais aussi du Canada, de Grande-Bretagne, d'Italie ou d'Espagne avancent leurs pions. « Par tradition, nous sommes plus proches du système éducatif français, indique Mohammed Barkaoui. Mais nous souhaitons choisir ce qui sera le meilleur pour notre pays. »

(1) HEI à Lille, Esigelecà Rouen et EPF à Sceaux.
(2) Ecole supérieure d'informatique, électroniqueet automatique.
(3) Ecole supérieure du commerce et des affaires.


Jean-Claude Lewandowski
Source: Les Echos.fr

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