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Succès et déboires de l'Institut du Monde Arabe

L'Institut du monde arabe (IMA) vit un paradoxe. Ce bâtiment à l'architecture audacieuse, situé en bord de Seine, est devenu, en quelques années, un lieu d'expositions à succès. "Pharaon" a déplacé 700 000 visiteurs, "Le Maroc de Matisse", près de 350 000. Et "L'âge d'or des sciences arabes" s'achèvera à la mi-mars avec plus de 200 000 entrées. Et pourtant l'IMA est en crise financière permanente. Chaque année, il manque 2 ou 3 millions d'euros pour boucler un budget serré - 22 millions d'euros en 2005 et 150 salariés, dont beaucoup ont des liens avec le monde arabe.

L'IMA dégage pourtant 47 % de fonds propres. "C'est exceptionnel", commente Yves Guéna, son président. Ce lieu a trouvé son public dans des domaines aussi différents que les expositions, les concerts, le cinéma, les conférences et débats, les Salons, voire l'initiation à la langue arabe. Et attire entre 800 000 et un million de personnes par an."

Pourquoi alors l'établissement est-il en difficulté financière chronique ? Et pourquoi sa réputation est-elle celle d'une institution maintenue à bout de bras par l'Etat pour des raisons diplomatiques, et qui ne remplit pas de rôle précis ? La réponse est à trouver dans les circonstances de sa conception, dans ses statuts, bricolés au fil des ans, et la manière dont l'établissement est géré.

"DES BARONNIES SCLÉROSÉES"

L'idée de l'IMA germe au moment du premier choc pétrolier, en 1973. Il s'agit d'associer la France et le monde arabe autour d'un projet culturel commun - la culture étant a priori un sujet non conflictuel. L'institut met plus d'une décennie à se matérialiser. Mais lorsque Jean Nouvel, un des architectes choisis pour construire le bâtiment, se met en quête de contenu pour le finaliser, personne n'est capable de lui fournir un programme précis. Ce sera une sorte de Beaubourg au rabais : un musée, flanqué d'une bibliothèque.

Si la bibliothèque, qui compte aujourd'hui 70 000 volumes, fonctionne assez vite, le musée est un fiasco. Il n'arrive pas à obtenir de prêts significatifs des collections publiques françaises, d'autant que le Louvre s'apprête à ouvrir son département des arts de l'islam. "L'IMA s'est monté de manière empirique, autour de personnes qui ont élaboré peu à peu leurs propres services, dans des domaines divers", constate Philippe Cardinal, responsable de la communication. C'est ainsi que l'IMA va s'ouvrir à l'action culturelle (débats, conférences, rencontres, Salons), à la musique, au cinéma et aux expositions temporaires.

Mais les responsables des départements ainsi montés sont très souvent en place depuis l'ouverture. Ce que certains critiquent vertement. "L'équipe qui pilote l'IMA est là depuis trop longtemps, lance l'écrivain Abdel Wahab Meddeb. Elle a fini par constituer des baronnies inexpugnables, sclérosées. Au lieu d'avoir une institution vivante, on a une sorte d'ONU avec la langue de bois qui va avec." "C'est nous qui faisons tourner la maison, réplique Mohamed Metalsi, le directeur des affaires culturelles. Sans notre savoir-faire et nos carnets d'adresses, l'IMA serait une coquille vide."

Pleine ou vide, la coquille est sous la tutelle du ministère des affaires étrangères. Son président est nommé par l'Elysée. Le poste va à un "grand serviteur de l'Etat" pour le récompenser de son passé et non à une personnalité choisie pour sa compétence. Ainsi, l'ambassadeur Denis Bauchard, nommé en 2002 après le décès de son prédécesseur, le sénateur Camille Cabana (UMP), un proche de Jacques Chirac, a donné sa démission en 2004, donc avant la fin de son mandat, pour laisser la place à Yves Guéna (83 ans), vétéran gaulliste, ancien président du Conseil constitutionnel, qui a largement dépassé l'âge de la retraite.

Le budget de l'IMA devait être alimenté à parité par la France et ses vingt-deux partenaires arabes. Mais les fonds manquent toujours. Les pays arabes payent peu et mal. Tandis que la France n'a pas réactualisé sa quote-part depuis 1990. Tous les ans, le président de l'IMA est donc obligé d'arracher au ministère des affaires étrangères des fonds supplémentaires pour boucler son budget. En novembre 2005, il manquait 2,6 millions d'euros. Yves Guéna en a récupéré deux. Mais le problème n'est pas réglé pour autant. Et les acrobaties comptables imaginées par les présidents successifs ne servent qu'à différer une réforme de fond. "L'improvisation perpétuelle est épuisante et coûte cher", constate Mohamed Metalsi. Et ils sont nombreux, au sein de l'IMA, à pointer la gestion "pagailleuse" de l'Institut et ses choix commerciaux déplorables, de la boutique - la Médina -, "inutile et déficitaire", au restaurant, "médiocre en dépit de sa vue exceptionnelle".

UN INSTITUT FRANCO-FRANÇAIS

Cet imbroglio financier traduit surtout la myopie des tutelles vis-à-vis de l'IMA. Pour beaucoup de pays arabes, l'établissement est un simple outil de communication qui remplit mal son rôle. Pour les Français, c'est un accessoire diplomatique trop onéreux. "Or, l'IMA est aujourd'hui au coeur des débats qui agitent le monde, soutient Brahim Alaoui, directeur du musée et des expositions. C'est le rendez-vous obligé de tous les intellectuels arabes qui habitent la France ou sont de passage en Europe. Les débats organisés dans nos murs sur des thèmes chauds font salle comble. C'est l'un des rares endroits où des communautés antagonistes peuvent se rencontrer. Mais il manque une vision ample pour faire fructifier les richesses de l'IMA."

Mais surtout, personne ne semble remarquer à Paris que le rôle de l'établissement a totalement changé. "Nous faisons certes connaître le monde arabe au grand public français, affirme Ouerdia Oussedik, responsable de l'action éducative. Mais nous sommes désormais un point d'ancrage essentiel pour les jeunes Français issus de l'immigration. Nous recevons chaque année un millier de groupes scolaires ou émanant du tissu associatif. La moitié d'entre eux viennent de la banlieue parisienne. L'IMA est devenu un institut franco-français et personne n'en tire les conséquences."

Emmanuel de Roux
Source : Le Monde

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